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Célébrée chaque année le 3 décembre, la Journée internationale des personnes handicapées (JIPH) est organisée par les Nations Unies pour promouvoir les droits, la santé et le bien-être des personnes handicapées à tous les niveaux de la société.

Cette année, le thème de la journée est « Amplifier le leadership des personnes handicapées pour un avenir inclusif et durable ». C’est l’occasion de braquer les projecteurs sur le travail réalisé dans toute la Région pour aider et encourager les personnes handicapées à assumer des rôles de direction et à participer à la vie politique et aux processus décisionnels, en particulier lorsque cela a un impact sur les systèmes de santé et la prestation de services de santé.

L’OMS/Europe s’est entretenue avec 3 femmes (elles-mêmes porteuses de handicaps) pour examiner comment leur rôle et la mission des organisations pour lesquelles elles travaillent contribuent à l’inclusion des personnes handicapées dans la prise de décisions politiques. 

Des préjugés et des obstacles

Elena Ratoi, originaire de Chisinau (République de Moldova), a commencé sa carrière dans le domaine de l’égalité des sexes il y a 10 ans, en travaillant pour ONU Femmes, au sein de laquelle elle s’est engagée dans un certain nombre de projets visant à soutenir une participation féminine à la vie politique. 

« En tant que personne handicapée, j’ai naturellement à cœur de soutenir d’autres personnes porteuses de handicap. J’ai donc pensé qu’une initiative ciblant spécifiquement les femmes handicapées était nécessaire », explique Elena. « Et bien sûr, si nous n’encourageons pas les femmes handicapées à participer au processus décisionnel, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les politiques soient suffisamment inclusives ou à ce qu’elles reflètent fidèlement les besoins des personnes sur lesquelles elles vont avoir un impact. »

En 2017, puis en 2019, elle a contribué à établir un partenariat avec 2 organisations travaillant dans le domaine du handicap en République de Moldova, et avec ces dernières, elle a aidé à élaborer des programmes de formation au renforcement des capacités pour des femmes handicapées intéressées par une participation à la vie politique et civique, ou déjà actives dans ces domaines. 

« Ces programmes couvraient toutes les formes d’action, depuis l’adhésion à un parti politique jusqu’à la conduite de campagnes électorales, en passant par la négociation avec des dirigeants politiques », explique Elena. « Nous avons également organisé des sessions visant à renforcer la confiance en soi et à préparer les femmes à exercer des fonctions d’élues. »

« Fait encourageant, certaines des femmes que nous avons soutenues lors des élections de 2019 sont ensuite devenues conseillères locales et ont plaidé en faveur de changements visant à améliorer la vie des personnes porteuses de handicap », poursuit Elena. « L’une de ces conseillères était déterminée à faciliter l’accès aux établissements de santé après avoir elle-même rencontré des difficultés. Elle a réussi à obtenir des fonds pour mettre en œuvre diverses initiatives, notamment l’installation de rampes d’accès pour les utilisateurs de fauteuils roulants. »

Toutefois, Elena est préoccupée par le fait que, dans de nombreux pays, il existe encore des politiques et des pratiques discriminatoires, notamment en ce qui concerne les droits maternels et reproductifs des femmes handicapées, qui ne peuvent être efficacement surmontées que par la participation politique des femmes à l’évolution des politiques et des attitudes. 

« Dans certains cas, des femmes handicapées ont été contraintes d’avorter ; les femmes porteuses de handicap se heurtent à des préjugés et à des obstacles dans l’accès aux services de santé reproductive, au point parfois que leur droit à la maternité est pratiquement ignoré », déclare-t-elle. « Il faut que cela change. »

Un processus de décision inclusif

Antonella Candiago travaille à Bruxelles (Belgique) en tant que chargée de mission dans le domaine politique, au sein du Réseau européen pour la vie autonome (ENIL). Elle a commencé à s’intéresser à la participation politique inclusive après avoir été elle-même confrontée à des problèmes d’accessibilité. Mais ce n’est qu’après avoir entamé un dialogue avec d’autres personnes handicapées qu’elle a pris conscience de l’ampleur du problème.

« J’ai eu l’occasion de parler à de nombreuses personnes, en particulier à des femmes souffrant de divers handicaps, y compris de déficiences intellectuelles, et j’ai pu comprendre à quel point beaucoup d’entre elles sont exclues de la participation politique », explique-t-elle. « J’ai eu de plus en plus envie d’apprendre comment nous pouvions les inclure, pour leur donner la possibilité de participer au processus décisionnel qui aura un impact sur leur avenir. »

Antonella a le douloureux souvenir d’avoir grandi sans que des personnes comme elle ne soient représentées, ce qui a eu un impact négatif sur son image d’elle-même et sur son propre potentiel. C’est pourquoi il est tout aussi important de permettre à des personnes handicapées de se faire remarquer dans ces rôles décisionnels, comme elle tient à le souligner :

« Lorsque vous ne vous voyez pas représenté, vous avez un sentiment d’exclusion et de marginalisation et vous pensez que vous n’avez pas vraiment le droit de participer ou de prendre des décisions, même sur des sujets tels que vos propres soins de santé. Pour les jeunes d’aujourd’hui, il est vraiment important de voir différents types de handicaps représentés afin de normaliser l’idée d’une prise de décision inclusive. »

Cependant, Antonella avertit que la participation politique doit être réelle et ne pas simplement être basée sur le fait qu’une personne est porteuse d’un handicap. 

« Il est essentiel d’éviter une représentation factice ou purement symbolique. Oui, nous devons voir des personnes handicapées servir d’exemple, mais en même temps, nous devrions avant tout nous concentrer sur leur profession, leurs intérêts, leurs expériences, leurs compétences et leurs aptitudes », déclare Antonella.

Son organisation et elle-même croient fermement aux principes de la cocréation et de la coproduction, qui consistent à réunir professionnels et citoyens (dans ce cas précis, des personnes handicapées) pour partager le pouvoir de planifier et de mettre en œuvre des services. Elle développe ce point :

« Nous formons les organisations aux moyens d’inclure et d’habiliter les personnes handicapées à tous les stades. Par exemple, nous avons mené avec succès un projet dans cet esprit, visant à rendre les systèmes de transport plus accessibles dans 7 villes européennes, mais cela pourrait aussi bien marcher dans le domaine des soins de santé ou dans tout autre contexte où il y a un élément de prestation de services. »

Un changement de mentalité plus général

Elena Kochoska, originaire de Skopje (Macédoine du Nord), est membre du conseil d’administration de l’ENIL et présidente du Centre macédonien pour la coopération internationale. Comme les autres femmes que nous avons interrogées, elle a commencé sa carrière frustrée par le fait que les personnes handicapées semblaient invisibles et sous-représentées dans les processus décisionnels économique et politique, et elle était résolue à faire quelque chose pour remédier à cette situation.

« J’ai commencé à plaider pour la matérialisation des droits politiques des personnes porteuses de handicap et pour la mise en œuvre intégrale de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) », dit-elle. « Il ne s’agit pas seulement de permettre aux personnes handicapées de s’engager dans la sphère politique, mais bien de les faire siéger à la table politique pour prendre des décisions sur diverses questions, et pas seulement sur celles liées au handicap. »

Elle travaille aujourd’hui avec des personnes handicapées déjà actives en politique ou cherchant à s’impliquer davantage dans les structures politiques, afin de les doter des compétences et des connaissances qui leur permettront de jouer leur rôle de manière efficace. 

« Parallèlement, je travaille avec des partis politiques pour les aider à élaborer leurs politiques et programmes en matière de handicap conformément à la CDPH », explique-t-elle, « en assurant la liaison avec d’autres organisations de personnes handicapées qui effectuent une grande partie du travail sur le terrain, afin de veiller à ce que ce dossier reste prioritaire dans leur ordre du jour ».

Elena est fermement convaincue que les cadres, et en particulier les directions du secteur de la santé, doivent inclure les personnes handicapées, comme elle le dit clairement :

« Il s’agit d’un point non négociable. Ce secteur doit être plus ouvert et impliquer davantage de personnes handicapées, et pas nous considérer uniquement comme des bénéficiaires. Par exemple, pourquoi n’avons-nous pas plus de travailleurs de la santé handicapés ? Et partout dans le monde, les personnes porteuses de handicaps se heurtent encore à des obstacles similaires lorsqu’il s’agit d’accéder aux soins de santé ou de trouver un emploi dans le secteur de la santé. »

Et elle ajoute :

« Au cours du XXIe siècle, le secteur de la santé sera confronté à de nombreux défis, et l’un d’entre eux sera l’intégration de la communauté des personnes handicapées. Mais les futures politiques de santé doivent se fonder sur la CDPH et prendre en compte les principes de l’égalité inclusive. »

Elena est incontestablement passionnée par la promotion des droits des personnes handicapées, mais elle considère que cela fait partie d’un changement de mentalité plus général au sein de notre société. Comme elle l’explique, 

« le handicap doit être reconnu comme un élément seulement de la diversité humaine. Bien sûr, je pense que la communauté des personnes handicapées devrait jouir des mêmes droits que les autres, y compris le droit à une vie indépendante, mais dans ma vision d’avenir, nous pourrons travailler ensemble pour créer une société où chacun sera en mesure de vivre la vie qu’il a choisie ; où chacun sentira qu’il a les moyens d’agir et de s’assumer. »

Source:https://www.who.int