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Le chef des droits de l’homme de l’ONU s’est dit, mardi, « extrêmement préoccupé » par l’escalade des hostilités et de la violence dans l’État d’Al-Jazirah au centre du Soudan, qui pourrait exacerber encore « le risque d’attaques contre les civils, des violences à motivation ethnique et des atrocités de masse ».

Cet avertissement du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme intervient dans un contexte de multiplication des appels à la mobilisation des civils dans l’État d’Al-Jazirah et par des informations faisant état de discours de haine circulant sur les médias sociaux. « Les dirigeants des deux parties doivent rapidement prendre toutes les mesures nécessaires pour désamorcer la situation », a mis en garde dans un communiqué, Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.

Selon le HCDH, ce regain de tension au centre du Soudan n’est pas étranger à la défection le 20 octobre dernier d’Abu Aqla Keikel, un commandant des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), au profit des Forces armées soudanaises (FAS). Depuis, les attaques des FSR contre des villages de l’État d’Al-Jazirah se sont multipliées, « apparemment en représailles à sa défection, et visant des membres de son groupe ethnique ».

Des vidéos montrant des dizaines de corps alignés pour être enterrés

Selon les services du Haut-Commissaire Türk, au moins 124 personnes auraient été tuées le vendredi 25 octobre, lors d’une attaque des forces terrestres des FSR contre le village d’Al-Seriha. 

« Des vidéos non confirmées montrent des dizaines de corps alignés pour être enterrés », a affirmé lors d’un point de presse régulier de l’ONU à Genève, Seif Magango, porte-parole du HCDH.

Cet incident fait suite à au moins deux autres attaques menées par les forces terrestres des FSR dans les villes voisines de Tamboul et de Rufaa en début de semaine. Les rapports indiquent que des centaines de personnes ont été tuées à Tamboul, dans un contexte de pillage généralisé.

Ils font également état d’au moins 25 cas de violences sexuelles dans plusieurs villages de la localité de Sharq Al-Jazira, dont trois membres du personnel médical et une fillette de 11 ans, qui en sont morts. Des femmes et des jeunes filles auraient été enlevées.

Des récoltes ont été brûlées également. Alors que plus de 25 millions de Soudanais sont confrontés à une insécurité alimentaire aiguë en raison du conflit en cours, la destruction des récoltes dans une région considérée comme le grenier à blé du pays ne peut qu’exacerber une situation déjà catastrophique.

Les combats à El Fasher, au Soudan, et dans les environs ont forcé de nombreuses familles à fuir pour se mettre à l'abri.
© UNICEF/Mohammed Jamal
Les combats à El Fasher, au Soudan, et dans les environs ont forcé de nombreuses familles à fuir pour se mettre à l’abri.

Une série de cauchemars incessants

M. Türk réitère donc son appel à toutes les parties pour qu’elles protègent les civils et de mettre un terme aux violations commises par leurs forces. 

« Toutes les violations présumées doivent faire l’objet d’une enquête et les responsables doivent être traduits en justice, à l’issue de procès équitables, afin de briser cet horrible cycle de violence », a prévenu le chef des droits de l’homme de l’ONU.

Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a averti lundi que le peuple soudanais est pris au piège dans un « cauchemar de violence, de faim, de maladie et de déplacement ». 

Dix-huit mois après le début du conflit, près de 25 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire et endurent « une série de cauchemars incessants ». « Des milliers de civils ont été tués et d’innombrables autres sont confrontés à des atrocités innommables, notamment des viols et des agressions sexuelles généralisés », a-t-il insisté.

Des violences sexuelles à grande échelle

En écho à ces propos du chef de l’ONU, la Mission d’enquête des Nations Unies fait état de violences sexuelles à grande échelle commises par les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) dans les zones qu’elles contrôlent.

Il s’agit notamment de viols collectifs et de l’enlèvement et de la détention de victimes dans des conditions qui s’apparentent à de l’esclavage sexuel, a déclaré la Mission internationale d’établissement des faits pour le Soudan, relevant qu’il existe « des motifs raisonnables de croire que ces actes constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, notamment des actes de torture, des viols, de l’esclavage sexuel et des persécutions fondées sur des motifs ethniques et sexospécifiques ».

« L’ampleur des violences sexuelles que nous avons constatées au Soudan est stupéfiante », a déclaré Mohamed Chande Othman, Président de la mission d’enquête. « La situation à laquelle sont confrontés les civils vulnérables, en particulier les femmes et les filles de tous âges, est profondément alarmante et doit être traitée de toute urgence ».

Des enfants et des familles fuient à pied Wad Madani, dans l'État d'Al Jazira, à la suite d'affrontements.
© UNICEF/UNI492302/Mohamdeen
Des enfants et des familles fuient à pied Wad Madani, dans l’État d’Al Jazira, à la suite d’affrontements.

Des viols commis pour terroriser et punir les civils

Bien qu’il ait également documenté des cas impliquant les Forces armées soudanaises et des groupes armés alliés, le document a constaté que la majorité des viols commis par les FSR – en particulier dans le Grand Khartoum et dans les États du Darfour et d’Al-Jazira – s’inscrivaient dans un schéma visant à terroriser et à punir les civils pour des liens supposés avec des opposants et à réprimer toute opposition à leurs avancées.

Ces violences sexuelles et les allégations de mariages forcés se sont produites principalement dans le contexte des invasions de villes et de villages, des attaques contre les sites de déplacement ou les civils fuyant les zones touchées par le conflit, et au cours de l’occupation prolongée des zones urbaines. 

Au Darfour par exemple, les actes de violence sexuelle ont été commis avec une « cruauté particulière » à l’aide d’armes à feu, de couteaux et de fouets pour intimider ou contraindre les victimes, tout en utilisant des insultes désobligeantes, racistes ou sexistes et des menaces de mort.  De nombreuses victimes ont été souvent ciblées sur la base de leur sexe et de leur appartenance ethnique réelle ou supposée. Ces actes de violence ont souvent eu lieu devant des membres de la famille, qui étaient également menacés.

Pour le déploiement immédiat d’une force de protection indépendante

Des hommes et des garçons auraient également été victimes de violences sexuelles pendant leur détention, notamment de viols, de menaces de viol, des cas de nudité forcée et de coups sur les parties génitales.

La mission d’établissement des faits a trouvé des motifs raisonnables de croire que les viols et autres formes de violence sexuelle commis par les FSR et leurs milices alliées constituent des violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme.

« Si la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) n’est pas étendue à l’ensemble du Soudan et si un mécanisme judiciaire indépendant travaillant en tandem et en complémentarité avec la CPI n’est pas mis en place, les auteurs de ces crimes continueront à semer la terreur et le chaos au Soudan », a affirmé Mona Rishmawi, membre de la Mission.

De plus, les enquêteurs estiment qu’il « faut trouver les moyens de créer les conditions nécessaires au déploiement immédiat d’une force de protection indépendante ».

Plus de 14 millions de personnes déplacées de force

De son côté, l’Agence de l’ONU pour les migrations (OIM) note que le Soudan est la plus grande crise de déplacement au monde. Le nombre de personnes déplacées internes a ainsi atteint 11 millions.

Cela représente une augmentation de 200.000 personnes depuis septembre. En outre, 3,1 millions de personnes se sont réfugiées dans les pays voisins. Au total, près de 30 % de la population soudanaise a été déplacée.   

Plus de la moitié des personnes déplacées sont des femmes, et plus d’un quart d’entre elles sont des enfants de moins de cinq ans. « Pensez-y un instant, cela représente un nombre considérable de femmes et d’enfants extrêmement vulnérables qui se déplacent », a déclaré depuis Port-Soudan, Amy Pope, la Directrice générale de l’OIM lors d’un point de presse régulier de l’ONU à Genève.

Des réfugiés soudanais font la queue pour recevoir de la nourriture à Adre, près de la frontière du Tchad avec le Soudan.
© HCR/Nicolo Filippo Rosso
Des réfugiés soudanais font la queue pour recevoir de la nourriture à Adre, près de la frontière du Tchad avec le Soudan.

Une crise dévastatrice qui atteint de nouveaux sommets

Selon l’agence onusienne, l’ampleur de ces déplacements – et des besoins humanitaires correspondants – augmente chaque jour. La moitié de la population du pays a besoin d’aide.

« Les populations n’ont pas accès à un abri, à de l’eau potable, à des soins de santé. Les maladies se propagent rapidement », a ajouté Mme Pope.

Un Soudanais sur deux lutte pour obtenir ne serait-ce que la quantité minimale de nourriture nécessaire à sa survie. La famine s’est installée dans le nord du Darfour et des millions de personnes luttent chaque jour pour se nourrir.

« J’ai pu constater une partie de cette souffrance hier, lors d’une visite dans la zone du barrage d’Arbaat, à une quarantaine de kilomètres de Port-Soudan », a-t-elle dit. Après de fortes pluies en août, un déversoir s’est effondré, provoquant une inondation qui a tué au moins 148 personnes et a dévasté les maisons, le bétail et les infrastructures.

« Cette dévastation serait déjà assez grave si elle ne s’ajoutait pas à un conflit qui continue de faire rage et s’aggrave de jour en jour – et qui a eu un impact dramatique sur l’acheminement de l’aide humanitaire », a conclu la cheffe de l’OIM.  

Source:https://news.un.org/fr/story/2024/10/1150096