Les critiques disent que la justice prend trop de temps et que les auteurs ne sont pas toujours tenus pour responsables dans les cas d’exploitation et d’abus sexuels commis par le personnel de l’ONU. Nommée par le Secrétaire général en 2017, Jane Connors, la première Défenseure des droits des victimes de l’ONU, a pour mission de mettre en place une approche centrée sur les victimes dans les plus de 35 entités du système.
Elle a fait part à ONU Info des « conversations extrêmement difficiles » tenues sur le terrain avec les victimes et leurs enfants et de la manière dont l’ONU aborde des questions allant de l’aide aux enfants aux tests ADN.
ONU Info : Comment évaluez-vous les progrès réalisés à ce jour ?
Jane Connors : Il y a eu de bons progrès pour faire comprendre aux gens que la victime, ses droits et sa dignité sont extrêmement importants. Le défi consiste à traduire cela en réalité sur le terrain.
Nous avons réalisé de très bons progrès là où nous avons des défenseurs des droits des victimes sur le terrain, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, en Haïti et au Soudan du Sud.
L’exploitation ou les abus sexuels aboutissent souvent à une grossesse et les hommes abandonnent presque toujours les femmes parce qu’ils ont une autre famille ailleurs.
De plus en plus de cas ont été signalés et des progrès ont été réalisés dans le soutien aux victimes et, en particulier, dans la poursuite des demandes de paternité et d’aide à l’enfance.
Ce n’est pas parce que l’on est capable d’utiliser son pouvoir pour exploiter quelqu’un et l’amener à donner son consentement qu’il est consentant.
L’un des grands défis est la sous-estimation de l’impact de l’exploitation sexuelle et la notion qu’il y a un consentement.
Ce n’est pas parce que l’on est capable d’utiliser son pouvoir pour exploiter quelqu’un et l’amener à donner son consentement que cette personne est consentante. Notre priorité doit être de rendre des comptes aux victimes.
Du point de vue d’une victime, la responsabilité sera très différente de ce que d’autres pourraient penser.
ONU Info : Les États en font-ils assez pour obtenir de réels progrès ?
Jane Connors : Les cas de paternité dont nous avons connaissance concernent le personnel travaillant dans les missions de paix ou les missions politiques spéciales des Nations Unies, principalement des militaires ou des policiers en uniforme.
En ce qui concerne l’identification des victimes, les missions ont beaucoup de progrès à faire.
Je me suis rendue dans plusieurs pays pour gagner leur confiance et les exhorter à user de leurs bons offices pour que les hommes qui ont engendré des enfants et qui ont été identifiés positivement grâce à la comparaison d’ADN fassent ce qu’ils sont censés faire.
Il est de la responsabilité conjointe des États membres et des Nations Unies de veiller à ce que les droits des enfants soient respectés. Ils ont le droit de connaître leur père et d’être soutenus par lui. C’est aussi la responsabilité parentale du père.
ONU Info : Les projets soutenus par le Fonds d’aide aux victimes des Nations Unies peuvent-ils faire une réelle différence dans la vie des victimes ?
Jane Connors : Je pense que cela fait une différence. Actuellement, nous avons des projets en RD Congo et au Libéria, nous en avons eu un en Haïti, et en aurons bientôt un en République centrafricaine.
Nous devons faire beaucoup plus en matière de prévention, car la prévention et la réponse sont inextricablement liées ; l’une ne va pas sans l’autre. L’élément victime est indispensable pour que les gens réfléchissent aux conséquences de leur comportement.
La victime n’est pas seulement l’individu, mais aussi sa communauté et sa propre famille.
Lorsque nous parlons d’abus, il s’agit généralement d’actes sexuels très graves commis sur des enfants de moins de 18 ans.
J’aimerais que l’on mette davantage l’accent sur le changement de comportement. Il faut beaucoup de travail, des ressources soutenues et un leadership énorme pour rendre quelque chose inacceptable.
Souvenez-vous de l’époque où conduire en état d’ébriété était acceptable, alors qu’aujourd’hui c’est considéré comme profondément inacceptable. C’est un travail de longue haleine.
ONU Info : Les enquêtes sont-elles menées assez rapidement ?
Jane Connors : Il faut travailler davantage avec les enquêteurs issus des forces de l’ordre. Ils doivent changer d’état d’esprit.
Ils doivent savoir qu’il est très mauvais de tarder, qu’ils doivent être polis et compatissants, et qu’ils doivent tenir la victime informée. L’information et le suivi des victimes ne sont pas très bons et doivent être améliorés.
ONU Info : Y a-t-il des messages communs que vous entendez de la part des victimes ?
Jane Connors : Ce sont des conversations extrêmement difficiles. Je rencontre tous ceux qui veulent parler de ce problème.
Je me souviens d’un pays que j’ai visité il y a quelques années, où il y avait beaucoup de femmes avec des enfants nés de l’exploitation sexuelle ou d’abus, et elles étaient très mécontentes, elles n’avaient reçu aucun soutien, aucune assistance ; les enfants n’allaient pas à l’école parce qu’elles n’avaient pas d’argent pour payer les frais de scolarité, et elles ne savaient pas ce qui se passait avec les demandes de paternité.
L’une d’entre elles a déclaré : « Des gens comme vous, nous vous voyons tout le temps. Vous venez, vous nous parlez, vous partez, nous n’entendons jamais rien ».
Je leur ai dit : « Écoutez, je ne suis pas une personne très puissante, mais je ferai ce que je peux ».
J’ai eu de très bons collègues dans le pays concerné qui ont collecté environ 40.000 dollars pour que ces enfants puissent aller à l’école. Cela a fait une énorme différence. À la fin de l’année, ils ont rencontré les femmes, qui ont dit : « Au moins, elle a fait ce qu’elle avait dit qu’elle ferait ».
ONU Info : Vous avez rencontré des victimes dans plusieurs pays. Quel message leur adressez-vous ?
Jane Connors : Je suis étonnée de leur tolérance à l’égard de l’ONU, de leur patience, de leur résilience, et je suis aussi extrêmement impressionnée par celles qui sont capables d’aller de l’avant. En ce qui concerne les projets en cours, certaines femmes ont été en mesure de créer leur propre entreprise. C’est quelque chose que nous faisons ensemble.
Source:news.un.org