NATIONS UNIES, New York – Avoir ou non des enfants est l’une des décisions aux effets les plus significatifs dans une vie.
Pourtant, comme le montre le Rapport 2022 de l’UNFPA sur l’état de la population mondiale, les individus du monde entier, notamment les femmes et les personnes appartenant à des groupes marginalisés, se voient souvent privés de tout choix en la matière, car leurs partenaires, leur famille, leurs prestataires de santé et parfois même leurs gouvernements font ce choix à leur place, ou l’influencent fortement.
« Les hommes ont un plus grand pouvoir de décision [en matière de contraception]. Les femmes sont parfois obligées d’agir en secret ou avec beaucoup de discrétion pour bénéficier de services contraceptifs », a ainsi rapporté un homme en Inde, interrogé dans le cadre du Rapport.
« Ce sont les hommes qui ont le dernier mot dans cette décision. Il est courant que les praticiens et praticiennes demandent la permission du mari », explique une femme au Soudan.
Si les choix reproductifs des femmes ont été soumis à ingérence pendant des siècles, ce n’est qu’au cours des dernières décennies que la recherche a commencé à reconnaître et explorer ce concept. Il a été nommé « violence reproductive ».
Qu’est-ce que la violence reproductive ?
La violence reproductive désigne toute forme d’abus, de coercition, de discrimination, d’exploitation ou de violence qui compromet l’autonomie reproductive d’une personne.
Cette forme de violence basée sur le genre peut être commise par des individus, comme les conjoints, les membres de la famille ou les professionnel·le·s de santé, ou bien par des communautés tout entières, lorsque les normes sociales orientent l’idée des sociétés sur qui devrait être parent ou ne devrait pas l’être. Parallèlement, les gouvernements eux aussi exercent cette forme de violence à travers des lois et des institutions, par exemple en empêchant l’accès aux contraceptifs ou bien en menant des campagnes de stérilisation forcée.
Au niveau interpersonnel, la violence reproductive peut ainsi passer par un conjoint qui cache, détruit voire retire le contraceptif de sa partenaire, mais également par la pratique dite du « stealthing », c’est-à-dire le retrait d’un préservatif pendant un rapport sexuel sans le consentement de son ou sa partenaire.
Pour d’autres, la violence reproductive se produit à l’annonce d’une grossesse : certaines femmes se voient contraintes à la maternité, tandis que d’autres sont forcées à avorter.
C’est cette dernière situation qu’a racontée à l’UNFPA en 2020 Jasbeer Kaur, 58 ans, originaire du Rajasthan (Inde) – la famille de son mari a tenté de l’obliger à avorter après avoir appris qu’elle attendait des triplées, toutes des filles.
« Aucune fille n’est née dans la famille de mon mari depuis trois générations. Ils m’ont dit qu’ils n’accepteraient pas que trois filles naissent dans notre foyer en même temps, et m’ont posé un ultimatum : je devais avorter ou partir », raconte Mme Kaur.
En exigeant une telle chose, la belle-famille de Mme Kaur perpétuait des normes sociales et de genre néfastes, qui accordent une plus grande valeur à la vie d’un garçon qu’à celle d’une fille. Les membres de la communauté de Mme Kaur renforçaient cette vision discriminante, en la traitant de « pauvre femme », à cause du fait qu’elle n’avait pas de fils.
« Ici, les gens pensent encore […] qu’en tant que mère, on n’a pas accompli son devoir tant qu’on n’a pas donné naissance à un fils », déplorait ainsi l’un·e de ses voisin·e·s.
Mme Kaur s’est toutefois opposée à ces normes et pratiques. Elle a choisi de quitter son mari et sa famille et de mener sa grossesse à terme. Aujourd’hui, ses triplées Mandeep, Sandeep et Pardeep sont toutes âgées de plus de vingt ans, et poursuivent des carrières dans l’art, le commerce et la santé.
« Aujourd’hui, les gens nous connaissent comme les filles de Jasbeer Kaur. Nous voulons faire quelque chose de notre vie », déclare Sandeep.
Pour résoudre le problème, il faut le rendre visible
Bien que la violence reproductive soit souvent le fait de partenaires ou de membres de la famille, comme dans le cas de Mme Kaur, ce ne sont pas les seuls à les commettre. Les gouvernements et les institutions sont aussi à l’origine d’actes de violence reproductive, à travers des lois et des politiques dont certaines visent à contrôler la fécondité au niveau national.
La population mondiale dépassant désormais les 8 milliards d’individus, les politiques nationales en matière de population sont sur le devant de la scène. Des preuves émergent notamment dans certains pays de politiques visant à accroître la fécondité par des moyens problématiques, comme la limitation de l’accès à l’avortement et la suppression de l’éducation à la sexualité des programmes scolaires.
L’UNFPA avertit que ces efforts pour contrôler la taille de la population ont généralement peu d’impact sur la fertilité à court terme, et qu’ils peuvent avoir des conséquences graves à long terme.
« Se concentrer uniquement sur les chiffres, c’est traiter les personnes comme des produits, et les priver de leurs droits et de leur humanité », déclarait ainsi le Dr Natalia Kanem, directrice exécutive de l’UNFPA, dans un éditorial pour le magazine TIME le 14 novembre. « Nous avons trop souvent vu des dirigeants fixer des objectifs chiffrés en matière de taille de la population ou de taux de fécondité, et constaté les violations terribles des droits humains qu’ils génèrent. »
« Soyons clair·e·s : lorsque l’on parle d’un “problème” de taux de fécondité ou d’une taille “idéale” de la population, on parle en réalité de contrôler le corps des individus. On parle d’exercer un pouvoir sur leur capacité à procréer, que ce soit par l’influence ou la force, depuis des politiques qui paient les familles pour avoir plus d’enfants jusqu’à des violations inadmissibles telles que la stérilisation forcées, souvent subies par des minorités ethniques, des peuples autochtones ou des personnes en situation de handicap. »
Aujourd’hui, de nombreuses femmes sont dans l’incapacité de contrôler leur vie reproductive. L’UNFPA rapporte ainsi que dans 64 pays, plus de 8 % des femmes n’ont pas la possibilité de décider de leur propre contraception, et que près d’un quart n’ont pas le pouvoir de refuser un rapport sexuel.
Sur cette question spécifique de la violence reproductive, l’UNFPA élabore un document technique et travaille au développement d’un outil de mesure qui permettra aux prestataires de soins de santé, aux chercheurs et chercheuses, aux gouvernements et aux institutions d’identifier où, quand et comment ces violences se produisent. C’est une étape essentielle pour aider les sociétés à traiter ce problème et à protéger les droits et les choix de toutes et tous.
« Un monde résilient de 8 milliards d’habitants, un monde qui défend les droits et les choix individuels offre des possibilités infinies. Il permet aux personnes, aux sociétés et à la planète que nous partageons de s’épanouir et de prospérer », a déclaré le Dr Kanem.
Source:unfpa.org