Nairobi, Kenya, le 28 novembre 2024 : A travers l’Afrique, le nombre d’affaires de viol est très élevé. De nouvelles recherches révèlent que la criminalisation inadéquate du viol, l’application insuffisante des lois, les mythes sur le viol et la culpabilisation des victimes ne sont que quelques-uns des obstacles à la justice auxquels sont confrontées les survivantes. Ces obstacles empêchent de nombreuses affaires d’être portées devant les tribunaux, et encore moins d’aboutir à des condamnations, ce qui permet à la majorité des auteurs d’échapper à des peines. Les survivantes sont donc vulnérables et n’ont accès ni à la justice, niaux services de soutien dont elles ont besoin de toute urgence.
Ce sont là quelques-unes des conclusions de «Obstacles à la justice: Le viol en Afrique : lois, pratiques et accès à la justice», un nouveau rapport d’Equality Now qui étudie les lois sur le viol et leur application dans 47 pays africains, avec une analyse approfondie sur l’Afrique du Sud, le Cameroun, la République démocratique du Congo, Madagascar, le Rwanda, le Sénégal, la Sierra Leone, le Soudan du Sud et la Zambie.
Bien que certains pays africains aient mis en œuvre des lois progressistes sur le viol, d’importants obstacles juridiques, procéduraux et sociétaux continuent d’empêcher les r survivantes de violences sexuelles à acceder à la justice. Des lacunes dans les cadres juridiques et une discrimination sexiste profondément enracinée se conjuguent pour favoriser une culture d’impunité du viol. Il en résulte une perte de confiance envers les systèmes judiciaires, une aggravation de la détresse des victimes et une sous-déclaration généralisée des violences sexuelles.
D’après Jean-Paul Murunga, avocat spécialisé dans les droits humains et auteur principal du rapport, « à l’issue de l’examen des lois sur le viol en vigueur d’un bout à l’autre de l’Afrique, il est clair que pour mettre fin à l’impunité des auteurs, les gouvernements doivent procéder d’urgence à une réforme juridique complète des lois sur le viol, renforcer les mécanismes de mise en application des lois et améliorer l’accès à la justice et le soutien aux survivantes ».
Des définitions juridiques étroites concernant le viol
Les définitions juridiques du viol devraient reposer sur le consentement volontaire, véritable et éclairé de la personne, qui peut être modifié ou retiré à tout moment au cours de l’interaction sexuelle et qui doit s’appliquer à tous les actes sexuels. Le consentement véritable est impossible dans les situations de dépendance ou d’extrême vulnérabilité, comme dans un contexte éducatif, dans un établissement pénitentiaire ou lorsque la victime est frappée d’incapacité, par exemple lorsqu’elle est en état d’ébriété, sous l’emprise de la drogue, ou infirme.
Les définitions juridiques du viol varient, et certaines ne tiennent pas compte d’une série de facteurs ou d’actes sexuels non consensuels. Dans ce contexte, les codes pénaux de 25 pays africains sont incomplets ou ambigus et ne sont pas conformes aux normes internationales. Leur définition du viol repose sur l’utilisation de la force physique ou de menaces ou sur l’usage effectif de la violence, tandis que le viol impliquant l’intimidation, la coercition, la fraude ou un rapport de forces inégal n’est pas reconnu de manière adéquate.
Une réforme urgente est indispensable, qui visera à ce que les définitions juridiques du viol englobent dorénavant tous les actes de pénétration sexuelle non consensuels, sans exclure certaines méthodes, certaines parties du corps ou l’utilisation d’objets. Dans certains cas, des actes de pénétration particuliers sont classés à tort comme des délits moins graves, assortis de peines plus légères, ce qui diminue la gravité de l’infraction.
Les lois qui créent une hiérarchie du viol
Les normes internationales exigent que les sanctions pour viol soient efficaces, proportionnelles à la gravité du crime et suffisamment sévères pour dissuader les auteurs de récidiver. Certains pays autorisent des peines légères qui ne reflètent pas la gravité du viol et qui laissent entendre qu’il ne s’agit pas d’un crime grave.
M. Murunga explique : « Les définitions juridiques étroites du viol renforcent et élargissent les lacunes de la justice dans la poursuite des affaires. Elles favorisent l’impunité ou reduisent certaines violations à des infractions mineures assorties de peines plus légères. Créer une hiérarchie du viol sape le principe selon lequel chaque individu a un droit absolu à son autonomie corporelle. ».
« Les exigences lourdes et discriminatoires en matière de preuve, qui requièrent la preuve d’une lésion physique, font peser sur les survivantes la charge de prouver qu’elles ont résisté physiquement à l’agression. De telles exigences pour qu’aient lieu des poursuites judiciaires et une condamnation sont déraisonnablement élevées et ne se concentrent pas sur la question centrale de l’absence de consentement de la victime. »
La stigmatisation et les stéréotypes sexistes préjudiciables
Dans vingt pays africains, la définition du viol repose sur le consentement. Toutefois, les croyances traditionnelles et les attitudes sociétales à l’égard de la sexualité se manifestent par des mythes sur le viol et la culpabilisation des victimes, lesquels jettent une ombre sur l’interprétation et l’application des lois. Il arrive ainsi que les fonctionnaires décident de ne pas enquêter, de ne pas poursuivre l’auteur du viol ou de ne pas le condamner en l’absence de preuves physiques, et en particulier de preuves qui indiquent que la victime s’est défendue.
Le pouvoir judiciaire discrétionnaire peut réduire les chefs d’accusation ou définir les preuves sur la base de stéréotypes sexistes concernant le comportement des victimes. De nombreuses juridictions mettent l’accent sur le recours à la force, la moralité ou les circonstances et appliquent des concepts discriminatoires fondés sur le sexe, tels que ’« honneur » et la « pudeur ». Cela préjuge des jugements sur le comportement et la « chasteté » des victimes et de la question de savoir si elles sont perçues comme méritant justice pour avoir été violées.
Les victimes de viol et leur famille font souvent l’objet de stigmatisation, d’opprobre et de menaces. À cela s’ajoutent souvent des pressions pour qu’elles gardent le silence, retirent leur plainte et règlent le problème à l’amiable par le biais d’une médiation communautaire informelle.
En Guinée équatoriale, les règlements à l’amiable sont légalement autorisés lorsque la victime d’un viol pardonne explicitement ou tacitement l’auteur des faits. Cette possibilité ne protège pas les victimes, qui risquent d’avoir peu confiance dans le système judiciaire, de se sentir obligées par d’autres personnes d’accepter un règlement à l’amiable et de craindre des représailles en cas de refus. Et même dans les pays où le règlement à l’amiable n’est pas autorisé par la loi, cette pratique reste courante.
Le viol conjugal et les “mariages” d’enfants
Dans certains pays africains, le viol au sein du mariage n’est pas érigé en infraction pénale. Cette situation découle de la croyance erronée qu’un viol conjugal n’est pas possible puisque, en acceptant de se marier, les femmes sont censées avoir consenti à des relations sexuelles à vie avec leur mari. Sept pays, dont la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie et le Soudan du Sud, exemptent expressément les conjoints de poursuites en cas de viol conjugal. Certains pays, comme le Lesotho et l’Érythrée, ne criminalisent le viol conjugal que lorsque les époux ne cohabitent pas.
Dans les pays où le mariage des enfants est autorisé et où le viol conjugal n’est pas érigé en infraction pénale, les jeunes mariées ne bénéficient d’aucune protection. Un vide juridique est créé pour ce qui, en l’absence de mariage, serait considéré comme un viol, et les jeunes épouses n’ont qu’un recours extrêmement limité contre les relations sexuelles dans le cadre de leur mariage, y compris la violence et l’exploitation sexuelles. Par exemple, au Gabon, lorsqu’un ravisseur épouse une mineure enlevée, il ne peut être poursuivi qu’après l’annulation de ce mariage.
M. Murunga précise : « Les normes internationales en matière de droits humains requièrent des États qu’ils criminalisent toutes les formes de viol, quelle que soit la relation entre l’auteur des faits et la victime. L’absence de criminalisation expresse du viol conjugal ne tient pas compte du fait que le consentement doit être donné librement et à tout moment, quel que soit le statut matrimonial des individus concernés. La reconnaissance juridique du viol conjugal indique clairement aux forces de l’ordre, aux procureurs et aux juges que celui-ci doit être traité comme un crime grave et poursuivi en conséquence. »
Des systèmes défectueux
La population connaît rarement le meilleur moyen d’obtenir justice en cas de viol. Cette situation s’accompagne d’un manque criant de ressources humaines et matérielles du côté des enquêteurs, des procureurs, des témoins experts et des responsables judiciaires, tandis que le grand nombre de dossiers à traiter entraîne de longs retards et l’abandon de certaines affaires. Parmi les autres obstacles à la justice figurent le manque de collaboration entre les acteurs étatiques, la corruption et l’inefficacité de la collecte et de l’évaluation des données. Un professionnel de la santé n’est pas toujours disponible pour examiner la survivante, recueillir des preuves et établir un rapport médical. En Côte d’Ivoire et en Guinée, les victimes de viol doivent présenter un certificat médical avant de déposer une plainte auprès de la police, ce qui constitue un défi majeur en raison du manque d’infrastructures médicales. Le nombre de viols augmente en période de conflit et de crise, lorsque l’effondrement de l’État de droit et la pénurie de services de soutien juridique, médical et psychologique rendent plus difficile l’exercice de recours juridiques par les survivantes. Des taux élevés de violence sexuelle ont été relevés au cours des conflits en Éthiopie, au Soudan et en République démocratique du Congo, le viol y étant utilisé comme arme de guerre pour dénigrer, mettre en situation de faiblesse et démoraliser les communautés.
Aligner les lois sur le viol avec les normes internationales en matière de droits humains
De nombreux pays africains ont ratifié des traités régionaux et internationaux essentiels en matière de droits humains, tels que le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo) et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), entre autres. Toutefois, les gouvernements africains ne respectent pas leurs obligations de défense des droits des femmes définies dans ces cadres.
Pour y remédier, Equality Now recommande que toutes les définitions juridiques du viol soient complètes, centrées sur les survivantes et à même de prendre en compte l’ensemble des actes non consensuels.
Par exemple, le Rwanda a pris des mesures importantes pour promouvoir une approche centrée sur la victime lors des enquêtes et des poursuites dans les affaires de violence sexuelle. Il a ainsi créé dans de nombreux districts des centres de rétablissement pour les victimes de violence fondée sur le genre, qui offrent aux survivantes la protection des témoins, un soutien médical et psychosocial ainsi qu’une aide juridique. Le Sénégal a adopté une approche similaire en créant des « guichets légaux » qui leur offrent des services judiciaires, juridiques et psychosociaux. Une application efficace des lois est tout aussi cruciale et nécessite des mécanismes solides pour faire appliquer la justice et rendre les auteurs des faits responsables de leurs actes. La transparence et la responsabilité sont essentielles pour instaurer la confiance et garantir l’équité dans le traitement des dossiers.
Les survivantes doivent avoir accès à des systèmes de soutien qui facilitent la guérison et qui leur permettent d’obtenir justice si elles le souhaitent. Les lois, les systèmes de références et les mécanismes doivent être inclusifs et sensibles, y compris pour les personnes handicapées. Dans les situations de conflit, il est vital d’empêcher les violences sexuelles et d’en traiter les conséquences par des politiques qui minimisent les dommages subis et qui tiennent les auteurs pour responsables.
FIN
NOTES AUX RÉDACTEURS:
Les médias sont priés d’adresser leurs demandes d’information aux personnes suivantes chez Equality Now :
Millicent Kwambai, Responsable des communications pour l’Afrique, Equality Now, E : mkwambai@equalitynow.org
Tara Carey, Responsable des Media, Equality Now, E: tcarey@equqlitynow.org, M: +44(0)7971556340 (WhatsApp)
À propos: Fondée en 1992, Equality Now est une organisation internationale de défense des droits humains qui œuvre pour les droits des femmes et des filles dans le monde. Son travail s’organise autour de quatre domaines principaux: obtenir l’égalité juridique, mettre fin aux violences sexuelle, mettre fin aux pratiques néfastes et mettre fin à l’exploitation sexuelle. De plus, une attention particulière dédiée aux défis uniques rencontrée par les adolescentes.
Equality Now combine l’activisme de terrain et le plaidoyer juridique aux niveaux international, régional et national pour promouvoir un changement systémique, tout en collaborant avec des partenaires locaux afin d’assurer l’adoption et l’application de lois et de politiques respectant les droits des femmes et des filles
Source:https://reliefweb.int/