SITUATION DES FEMMES AU BURKINA -FASO
Par Mme Haridiata DAKOURE
INTRODUCTION
Pourquoi parler de droits de la femme puisqu’il existe divers instruments juridiques consacrant les droits de l’homme, l’homme étant entendu au sens d’espèce humaine. Pourquoi parler de droits de la femme au Burkina comme si toutes les femmes Burkinabé quelque soit leur mode et leur niveau de vie ont les mêmes exigences ?
Comme l’a écrit Georges Orwell dans les « animaux », « tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres ». Cette métaphore reflète bien la réalité du décalage qui existe entre les droits des hommes et les droits des femmes. Pendant longtemps, la question de la promotion de la femme dans nos pays a été considérée comme une revendication de femmes aisées, peu conscientes des réalités africaines. Mais des évènements importants survenus sur le plan international vont permettre de comprendre qu’il s’agit en vérité de rétablir l’équilibre juridique afin de réunir les conditions d’un développement humain durable dans nos sociétés. Parmi ces évènements, on peut citer la proclamation par l’ONU de l’année internationale de la femme en 1975, l’institutionnalisation de la décennie de la promotion de la femme en 1976-1985, avec en support, l’organisation de conférences mondiales sur la femme tenues à Mexico en 1975, Copenhague en 1980, Nairobi en 1985, Beijing en 1995 et New York en 2000.
Ces conférences, qui ont connu la participation de milliers de représentants tant des pouvoirs publics que de la société civile, ont permis l’élaboration de plate forme d’action et de stratégies prospectives d’action pour l’amélioration de la situation des femmes dans le monde et la mobilisation de la communauté internationale sur les problèmes et les droits des femmes. Des instruments juridiques internationaux ont été conçus et ratifiés par les États : Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en 1979 ; Déclaration sur les violences faites aux femmes en 1993 à Vienne et la mise en place d’un Rapporteur sur la violence faite aux femmes.
La question des droits de la femme s’est imposée de plus en plus comme un problème de développement. Au niveau national, des efforts ont été faits au plan des textes pour consacrer le principe de l’égalité des sexes aussi bien en ce qui concerne les droits civils et politiques qu’économiques, sociaux et culturels.
Cependant les déséquilibres et différences existent dans les rapports entre les hommes et les femmes à tous les niveaux : ménages, communautés, vie publique et nuisent au développement. Les droits humains en général et les droits de la femme en particulier ne sauraient s’apprécier uniquement par rapport aux déclarations politiques, aux instruments juridiques. C’est pourquoi au delà de l’inventaire qui peut être fait concernant les textes et les différents droits qu’ils consacrent il y a lieu de se poser un certain nombre de question : au delà des textes quelle est la réalité concrète ? Les textes garantissent-ils suffisamment les droits des femmes sur le plan des principes ? Sont ils effectivement appliqués ? Les discours ne couvrent-ils pas le silence des faits ? Quelles actions concrètes peut-on mener pour l’amélioration du statut de la femme ?
Pour introduire le débat, on peut commencer par faire un état des lieux pour ensuite dégager les actions possibles susceptibles d’améliorer la situation de la femme.
PREMIERE PARTIE : ÉTATS DES LIEUX
L’analyse de l’état des droits de la femme révèle un foisonnement d’instruments juridiques tant sur le plan international que national. Section 1 : Les principaux textes et leur contenu
1. Les textes internationaux et africains
1.1. Les grandes étapes L’Organisation des Nations Unies a entrepris depuis sa création d’améliorer la condition des femmes par des actions de réforme et de sensibilisation.
Pour susciter une évolution plus rapide du statut de la femme vers l’égalité avec les hommes, elle a initié une action dont les principales étapes ont été les suivantes :
1975 : conférence mondiale de Mexico, année internationale de la femme et 1er plan d’action mondial pour la promotion de la femme,
1976 – 1985 : décennie des Nations Unies pour la femme : égalité, développement et paix,
1979 : adoption de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes.
1980 : conférence de Copenhague : évaluation à mi parcours du plan d’action mondial pour la promotion de la femme,
1985 : conférence de Nairobi : évaluation des résultats de la décennie des Nations Unies pour la femme adoption des stratégies prospectives d’action de Nairobi pour la promotion de la femme d’ici l’an 2000 ,
1993 : conférence mondiale de Vienne sur les droits de l’homme,
1995 : conférence mondiale sur les femmes à Beijing déclaration et programme d’action,
1994 : conférence mondiale du Caire sur la Population,
2000 : session spéciale des Nations Unies sur les femmes, évaluation du plan d’action de Beijing 1.2. Le contenu des principes qui se dégagent de ces instruments juridiques.
Les deux grands principes qui se dégagent sont les principes d’égalité et de non discrimination.
1.2.1. Principe d’égalité
Les libertés fondamentales et les droits de l’homme sont inhérents à tous les êtres humains. Les droits fondamentaux des femmes et des petites filles, c’est à dire les droits civils, culturels, politiques, sociaux, économiques et le droit au développement font inaliénablement, intégralement et indivisiblement partie des droits universels de toute personne. Il est essentiel que la femme et la petite fille jouissent pleinement et sur un pied d’égalité de l’ensemble de ces droits fondamentaux.
La CEDEF apparaît comme un des instruments les plus complets de promotion et de protection des droits de la femme. Elle vise à établir l’égalité de droit des femmes quelque soit l’état matrimonial et dans tous les domaines : politique économique sociale, culturel et civil.
1.2.2. Principe de non discrimination
La CEDEF entrée en vigueur le 3 septembre 1981 et ratifiée par le Burkina Faso le 28 novembre 1984 définit de façon large les pratiques discriminatoires et prévoit des mesures temporaires spéciales.
Aux fins de la CEDEF, l’expression « discrimination à l’égard des femmes » vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et civil ou dans tout autre domaine.
1.2.3. Mesures temporaires visant à accélérer l’instauration de l’égalité de fait entre l’homme et la femme.
Ces mesures tendent notamment :
– À modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de nature à perpétuer la discrimination à l’égard des femmes.
– À assurer l’égalité politique en matière de vote, de participation à l’élaboration de la politique de l’État et à son exécution. Occuper tous emplois publics et exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons du gouvernement.
– À assurer l’égalité de droits des hommes et des femmes en matière d’éducation :
– Egalité dans l’enseignement préscolaire, général, technique, professionnel, supérieur ;
– Elimination des conceptions stéréotypées des rôles de l’homme et de la femme à tous les niveaux dans toutes les formes d’enseignement ;
– L’égalité dans d’accès aux programmes d’éducation permanente ;
– Réduction du taux d’abandon scolaire féminin.
– À assurer l’égalité devant l’emploi :
– Egalité de droit au travail,
– Droit aux mêmes possibilités d’emploi, même critère de sélection,
– libre choix de la profession
– droit à l’égalité de rémunération
– droit à la sécurité sociale
– protection de la santé dans les conditions de travail y compris les fonctions de reproduction
– interdiction des licenciements pour cause de mariage ou de grossesse
– à assurer l’égalité dans le domaine de la santé :
– égalité d’accès aux services médicaux y compris ceux concernant la planification familiale.
– à assurer l’égalité dans le domaine économique :
– égalité de droit aux prêts bancaires et autres formes de crédits financer.
En particulier pour les femmes des zones rurales, les états doivent assurer l’application de la convention.
à assurer l’égalité civile, égalité devant la loi en matière de capacité juridique dans les rapports familiaux.
2. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples a été adoptée par l’OUA le 26 juin 1981, ratifiée par le Burkina Faso le 06 juillet 1984 et entrée en vigueur le 21 Octobre 1986 ainsi que son projet de protocole additionnel. Elle apparaît comme un des outils fondamentaux de promotion et de protection des droits individuels et collectifs de la personne humaine dans le contexte culturel du continent africain.
Elle stipule que « toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi » et que « tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays soit directement soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis conformément aux règles édictées par la loi. »
3.Le Protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Hommes et des Peuples relatif aux Droits de la Femme en Afrique
4. Les textes nationaux
D’une manière générale, les textes nationaux sont relativement favorables à la femme en ce qui concerne les droits fondamentaux.
4.1. Les droits civils
4.1.1. La Constitution
C’est le texte le plus important adopté par le peuple, auquel tous les autres textes sont subordonnés.
Selon la Constitution de juin 1991 « tous les Burkinabé naissent libres et égaux en droit » Cela veut dire qu’au Burkina, tous les êtres humains ont les mêmes droits et les mêmes obligations. Il ne s’agit pas d’une égalité mathématique mais de la nécessité de rétablir l’équilibre en corrigeant les situations inégales au départ en vue d’une distribution plus juste des avantages sociaux, du pouvoir politique et des biens économiques.
4.1.2. Le Code des Personnes et de la Famille (CPF)
Le CPF pose un certain nombre de principes qui protègent les droits des femmes. La monogamie est le principe et la polygamie une option que les futurs époux doivent déclarer. À défaut, ils sont censés être mariés sous le régime de la monogamie.
Les mariages coutumiers n’ont aucun effet officiel, seul le mariage civil est reconnu ;
Les époux doivent se choisir librement. Les mariages forcés, c’est-à-dire ceux imposés par les familles ou ceux résultant des règles coutumières en cas de veuvage, sont interdits ;
Le mariage repose sur l’égalité des droits et des devoirs entre époux ;
Les enfants sont égaux en droit quelque soient leur origine et leur sexe ;
La notion de puissance paternelle fait place à la celle d’autorité parentale exercée par les deux (2) époux
Les enfants sont égaux en droit quelle que soit leur origine et leur sexe,
Le conjoint survivant a droit à une part successorale
C’est le juge qui prononce le divorce par conséquent le mari ne peut répudier sa femme.
4.1.3. Le code pénal
Le Code pénal est un texte qui définit les faits punis par la loi et les sanctions applicables à ces faits. En dehors des faits qui portent atteinte aux droits des personnes en général, le Code pénal de 1996 punit certains faits qui violent les droits des femmes en particulier. Ce sont :
les mutilations génitales féminines communément appelées excision (article 380),
l’abandon de la femme enceinte, c’est dire le fait de ne pas subvenir aux besoins de la femme pendant la grossesse,
l’abandon de famille, c’est le fait de ne pas contribuer à l’entretien de la famille,
l’exigence ou l’acceptation de payer la dot,
la bigamie : le fait d’être marié sous le régime de la monogamie et de contracter un autre mariage sans que le premier ait pris fin (par décès ou divorce)
le mariage forcé ou précoce.
Les articles 376 à 379 du code Pénal répriment les infractions en matière de mariage le viol, c’est à dire le fait d’avoir des rapports sexuels avec une femme sans son consentement, le proxénétisme : la prostitution en soit n’est pas interdite par la loi mais le fait pour une personne d’obliger les femmes à se prostituer et à lui verser les fruits de leur prostitution est du proxénétisme.
4.2. Les droits politiques
Ce sont des droits reconnus à une personne pour lui permettre de prendre part à la gestion de la communauté soit directement soit par l’intermédiaire de représentants élus. Ces droits sont définis par la Constitution et le Code électoral.
4.2.1. La Constitution
Selon la Constitution, tous les Burkinabé sont égaux ; ils ont tous le droit de participer à la gestion des affaires de la cité, ils ont le droit de voter et d’être élu ; les discriminations de toutes sortes sont interdites. Les femmes ont donc en principe les mêmes droits politiques que les hommes.
4.2.2. Le Code électoral
Le Code électoral est le texte qui précise les conditions de participation des citoyens aux choix des élus ; les conditions pour être candidat aux élections et comment les élections doivent être organisées. Il stipule que tout burkinabé jouit des droits civiques et politiques dans les conditions prévues par la loi. Il ne fait pas de différence entre homme et femme.
4.3. Les droits économiques
Ce sont les droits qui concernent les ressources d’une personne. Ils sont prescrits dans la Constitution ainsi que dans d’autres textes comme la loi sur la réforme agraine et foncière (RAF). Par ailleurs sans instituer un droit le Fonds d’appui aux activités rémunératrice des femmes (FAARF) permet aux groupements féminins de bénéficier de micro crédits.
4.3.1. La Constitution
La Constitution garantit le droit de propriété et la liberté d’entreprise ; ainsi la femme comme l’homme a le droit de mener des activités commerciales. Pour cela, elle n’a pas besoin d’une autorisation expresse de son mari. En outre l’art 15 dispose que le droit de propriété est garanti et que nul ne saurait être privé de sa jouissance sauf cas d’utilité publique. Quant à la liberté d’entreprise, elle est garantie par l’art 16.
4.3.1.1. La loi N° 14/96/ADP du 23 mai 1996 portant réforme agraire et foncière (RAF)
4.4. Les droits sociaux et culturels
Ce sont les droits à l’éducation et à la formation, à la santé, au travail et à la sécurité sociale, à la liberté d’association, aux loisirs et la création artistique (article 18 de la Constitution).
4.4.1. Le droit à l’éducation
La Constitution dispose que tout citoyen a droit à l’instruction (article 27) ;
La loi d’orientation de l’éducation adoptée le 09 Mai 1996 en son article 2 affirme que l’éducation est une priorité nationale. Tout citoyen a droit à l’éducation sans discrimination sur le sexe, l’origine, la race ou la religion ;
Un plan d’action 1994-2000, pour la promotion de l’éducation des filles a été adopté. Il vise à augmenter le taux de scolarisation des filles.
Les mesures ont été prises en faveur des filles telles que l’octroi de bourse visant à l’augmentation des effectifs des filles dans les établissements ;
Une Direction de la Promotion de l’Education des Filles a été créée ;
Des mesures sont prises par l’Etat pour supprimer toutes références à des stéréotypes qui perpétuent la discrimination dans les manuels scolaires.
Un centre International pour l’Education des femmes et des filles en Afrique, ouvert par l’UNESCO et dont le siège est à Ouagadougou pour but de renforcer la formation scientifique des femmes. 4.4.2. Le droit au travail La Constitution (article 19) reconnaît le droit au travail égal pour tous.
La loi N°013/98 AN portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la fonction publique prévoit l’égalité d’accès aux emplois publics sans discrimination de sexe (loi n°13/98 AN du 28-4-98).
Le Code du travail (article 82 à 88) prévoit l’égalité salariale entre homme et femme pour les emplois de même niveau, tout en instituant des conditions de travail adaptées à la situation des femmes (maternité).
Le Code de Travail (article 3) ainsi que le Code de Sécurité Sociale protègent la femme salariée en état de grossesse ou en couche.
L’arrêté 5254 IGTLS du 19 juillet 1954 relatif au travail des femmes et des femmes enceintes (J.O. AOF du 3 avril 1954 p.567).
Arrêté n°712/FPT/C.N.S.S. du 23 avril 1991 relatif à l’indemnité journalière versée à la femme salariée en couche (Code social p. 560).
Le décret 94-271 du 3 juillet 1994 portant fixation du taux des allocations prénatales au profit des travailleurs salariés du secteur privé (J.O. BF du 21 juillet 1994 p.1329).
4.4.3. Le droit à la santé
Le droit à la santé est consacré par l’article 26 de la Constitution qui stipule que le droit à la santé est reconnu et que l’Etat œuvre à le promouvoir. Cela signifie pour les femmes l’accès aux soins de santé primaire notamment en matière de santé maternelle et infantile.
Le droit à la santé signifie également que les femmes doivent bénéficier de conditions préservant leur santé : nourriture en quantité et en qualité surtout en cas de grossesse, travaux moins pénibles, maîtrise de leur vie sexuelle et du nombre de leurs enfants.
Notre constitution garantit en son article 2 l’intégrité physique de la personne. Les violences en particulier physiques sont interdites. Outres les dispositions pénales applicables aux violences physiques en général, le Code Pénal punit l’excision. Ainsi l’article 380 du Code Pénal prévoit un emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d’une amende de 150.000 francs contre les auteurs et complices d’excision. La peine est de 5 à 10 ans d’emprisonnement si l’excision a entraîné la mort de la victime.
Nous pouvons constater que malgré la volonté de l’ONU d’établir juridiquement l’égalité des sexes en tant que droit humain fondamental, la discrimination à l’égard des femmes s’est perpétuée, même parfois aggravée et les textes aussi bien internationaux que nationaux restent dans l’ensemble des vœux pieux.
Section 2 : les réalités du vécu quotidien des femmes
Au Burkina Faso, les textes favorables aux femmes ne sont pas suffisamment appliqués : cela est dû entre autres à :
– la méconnaissance des droits spécifiques des femmes (par les femmes et la population) ;
– l’ignorance par les praticiens du droit de certains textes favorables aux femmes, notamment les textes internationaux
– les difficultés d’interprétation des textes de loi par les personnes non-spécialistes du droit ;
– la position d’infériorité de la femme dans la société résultant du poids de la tradition
– les difficultés d’accès à la justice.
1. Les difficultés d’application des textes
1.1. Droits civils
Dans la vie privée, l’homme est le chef de famille. La cellule familiale est la structure la plus conservatrice et la plus oppressive pour les femmes. L’homme prend les décisions importantes et l’influence de la femme si grande soit – elle doit rester discrète. La femme est considérée comme un être inférieur que le chef de famille peut à tout moment et au besoin par son droit de correction ramener sur le droit chemin. C’est une éternelle mineure qui ne peut rien décider d’elle-même. Elle est considérée comme un objet et elle-même et ses biens sont la propriété de la famille.
L’égalité en matière de mariage, de divorce et de succession n’est en général pas respectée. Malgré les principes édictés dans le Code des Personnes et de la Famille, le monde rural dans son ensemble continue les pratiques coutumières du don de femmes, de la dot, du lévirat et les filles n’ont pas les mêmes droits de succession que leurs frères.
Même en milieu urbain, les mariages célébrés selon le code des personnes et de la famille sont l’apanage de quelques intellectuels et de couples chrétiens. Et compte tenu des mentalités, le mari est considéré comme le chef de famille auquel la femme, comme les enfants, doit obéissance. Il a même un droit de correction sur sa femme. En cas de divorce ou de veuvage, la femme rencontre généralement des difficultés pour exercer en toute quiétude son droit de visite ou de garde ou la tutelle des enfants. La famille du mari défunt accapare souvent les biens du ménage laissant la veuve et les orphelins dans des difficultés matérielles.
La femme subit souvent des violences aussi bien physiques que morales de la part du conjoint ou de la belle-famille sans oser se plaindre en justice. Il n’existe au parquet de Ouagadougou, aucune trace de poursuites pénales contre les époux violents. Les épouses violentées se contentent de demander au Procureur du Faso d’admonester leur conjoint.
Les multiples cas de violences ou de bigamie échappent aussi bien aux sanctions civiles que pénales. Mais les femmes semblent demander plus facilement le divorce que les hommes. Ainsi sur 175 demandes de divorce entre le 9 janvier et le 19 décembre 1997, seulement 68 étaient introduites par des hommes, les 107 autres par des femmes. Cela peut s’expliquer par le fait que les hommes au lieu de divorcer, se contentent de répudier ou d’abandonner leur épouse.
L’on peut signaler les cas extrêmes où des femmes mariées sous le régime de la monogamie s’abstiennent de faire annuler le deuxième mariage illégal de leur époux ; certaines vont même jusqu’à accepter de divorcer pour se remarier sous le régime polygamique avec leur ancien conjoint, tout cela dans le but évident de conserver leur statut de femme mariée.
Il en résulte qu’en matière de mariage, nous assistons :
Encore à des mariages forcés et ou précoces, au lévirat. La majorité des mariages se font selon la coutume ou la religion.
La contribution de la femme à l’acquisition des biens du ménage n’est pas reconnue. Le droit à la moitié de la communauté des biens et à l’héritage du mari décédé est contesté.
Son droit de tutelle des enfants en cas de décès du conjoint de même que son droit de garde ou de visite lui sont souvent refusés.
La maison d’habitation est souvent vendue à son insu pour l’obliger à aller vivre en zone non lotie ou au village avec ses enfants.
1.2. Droits politiques
Les femmes sont à la périphérie du pouvoir de décision malgré leur poids démographique et électoral important ainsi que leur forte présence dans la vie quotidienne. En effet, leur contribution au développement ne s’est pas traduite par une amélioration de leur accès aux ressources et au pouvoir de décision. Cet état de fait installe les hommes dans une position confortable où ils définissent les règles du jeu et par conséquent imposent facilement leurs décisions. Les femmes sont sous représentées dans les instances de direction des partis politiques, des syndicats, au niveau du pouvoir législatif, exécutif, du commandement territorial et local.
Dans la vie publique, même s’il y a de nouveaux rôles à jouer, le mode de pensée et de gestion de la vie privée y est transféré. Au Burkina Faso, les femmes occupent en règle générale des postes subalternes dans les états majors des partis politiques, et quand elles occupent des postes ministériels, ce sont souvent des ministères considérés comme étant le prolongement naturel de leur rôle de mère (Action Sociale, Promotion de la Femme).
Des idées reçues, des préjugés sexistes solidement ancrés, des rôles sociaux prédéterminés amènent les femmes à douter d’elles – mêmes et à distinguer des métiers dits masculins de métiers dits féminins. C’est ainsi que des filières prétendues féminines sont investies par les femmes qui trouvent cela presque normal.
Les préjugés sexistes, croyances, comportements et attitudes renforcent quotidiennement le désir de la relégation de la femme au rang de second. Cela est d’ailleurs amplifié par les proverbes locaux, les méthodes et les pratiques éducationnelles qui infléchissent dès le bas âge le destin du petit garçon et de la petite fille : mode vestimentaire, alimentation, jeu, manière de se tenir, de parler. Dès la naissance, des orientations sont données et très tôt on apprend au petit garçon à être fort et à contrôler ses émotions et à la petite fille à se soumettre.
Tableau présentant les statistiques des femmes aux postes de décision
Postes de décision Nbre de femmes Nbre d’Hommes TOTAL
Députés 13 98 111
Maires 01 48 49
Conseillers municipaux 228 1674 1902
Président de commission à l’AN 01 04 05
Ministres 03 29 32
Président d’institutions judiciaires 01 03 04
1.3. Droits économiques
Les femmes éprouvent énormément de difficultés pour accéder à l’emploi, à la terre (la bonne terre), au crédit, aux intrants, au matériel de production et à la technologie. Dans le secteur agricole, elles sont maintenues dans les aspects non monétaires de la production vivrière dont elles constituent les actrices principales. Dans le secteur industriel dans l’ensemble, le manque de qualification professionnelle et technique ainsi que l’analphabétisme font des femmes des ouvrières journalières, employées aux tâches les plus pénibles et les plus rebutantes, en somme une main d’œuvre à bon marché, dans un environnement où elles ne cessent d’essuyer chantage et harcèlement surtout sexuel.
Par la force des choses (crise économique, mari immigré, famille monoparentale ou autre), beaucoup de femmes sont devenues chefs de famille sans pour autant jouir des avantages ou de la reconnaissance que confère ce statut.
La discrimination faite aux femmes au plan économique amène aujourd’hui à parler de féminisation de la pauvreté. En fait en terme de rapport budget / temps, la richesse qui revient aux femmes est inversement proportionnelle à leur niveau de production. Les femmes travailleuses ne peuvent ni percevoir des allocations familiales, ni prendre en charge leurs enfants ou mari (imputation budgétaire) ni bénéficier d’une baisse de leur fiscalité.
Les statistiques de 1993 indiquent un taux de mortalité maternelle très élevée avec 566 décès pour 100 000 naissances vivantes et un taux de mortalité infantile de 115 pour mille. En milieu rural outre l’insuffisance des infrastructures sanitaires, voire le manque dans certaines localités, il convient d’ajouter l’éloignement des centres de soins lorsqu’il en existe, la rareté des moyens de transport et le coût des médicaments hors portée des populations dont le niveau de revenus restent encore bas.
1.4. Droits sociaux et culturels
Les conditions socioéconomiques, sociologiques et socioculturelles déterminent souvent la faible participation des femmes à la vie économiques et publiques.
Au niveau de l’accès à l’éducation, la population scolarisable des filles est de loin supérieure à la population scolarisée, et au fur et à mesure qu’on avance dans le circuit éducatif, les déperditions scolaires sont plus importantes chez les filles que chez les garçons. L’âge précoce au mariage, très précoce même chez certaines ethnies ne milite pas en faveur d’un maintien des filles à l’école. L’analyse de la situation des femmes au Burkina Faso montre que les discriminations à l’égard des femmes sont récurrentes. Les rapports homme / femme sont entachés de la relation dominant / dominé.
Au niveau de la santé, on assiste à une précarité des conditions de santé de la mère et de l’enfant liées aux charges de travail, aux grossesses multiples et rapprochées, aux maladies telles le paludisme,lesinfectionsrespiratoiresaiguës, les diarrhées, le VIH/SIDA etc. La situation sanitaire des femmes se caractérise par une mortalité et une morbidité encore plus élevées. Les causes directes telles que les hémorragies et les infections sont responsables d’environ 72% des cas de décès maternels. Par ailleurs, il est établi que 55% des femmes enceintes sont anémiées. Sur l’ensemble du pays, seulement 38,4% des femmes enceintes subissent une consultation prénatale. A cause des accouchements dans les conditions d’hygiène défectueuses, le taux de mortalité prénatale était de 26 pour 1000 en 1995. Les facteurs explicatifs de la situation sanitaire des femmes relèvent, en plus de l’ignorance et de la pauvreté, du fardeau des activités domestiques ainsi que de pratiques traditionnelles néfastes, de l’insuffisance des mesures d’assainissement et de fourniture d’eau potable.
Une analyse de la situation faite en 1993 donne les estimations suivantes :
le taux de couverture en services de soins de santé aux femmes enceintes est de 40% et de 10% pour celui des enfants de 0 à 5 ans ;
42% seulement des naissances sons assistées par un personnel qualifié ;
42% des femmes enceintes n’effectuent pas de consultations prénatales, et 36% ne sont pas vaccinées contre le tétanos ;
le taux de natalité est de 42 pour mille avec une moyenne de 7 enfants par femme.
En dépit de tous les efforts fournis par le gouvernement et ses partenaires internationaux, les ONG et associations, la situation sanitaire des femmes est encore précaire surtout en milieu rural où vit la majorité de la population. 2. Les limites juridiques des textes et vides juridiques de la protection des droits des femmes
2.1. Les inégalités dans les textes :
Le Code des Personnes et de la Famille, l’article 36 stipule que :
l’enfant né dans le mariage porte le nom de son père. Pourquoi pas celui de sa mère ou les deux conjointement ?
la femme veuve ou divorcée ne peut pas se remarier immédiatement même si elle fournit un certificat médical de non-grossesse, alors que l’homme n’est soumis à aucune condition de délai.
L’article 453 pose des conditions plus sévères en cas de contestation de la paternité du mari : la mère doit divorcer et épouser le véritable père de l’enfant, alors que le désaveu de paternité du mari n’est pas soumis à de telles conditions.
2.2. Les vides juridiques
Ils se manifestent dans plusieurs situations :
Absence de textes spécifiques relatifs aux violences faites aux femmes et aux enfants. Il peut s’agir de violences physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques. Ainsi, le bannissement de la femme ou de la fille qui refusent le mariage forcé, l’exclusion sociale pour fait de sorcellerie, le viol conjugal, le harcèlement sexuel, le refus de reconnaître une grossesse, le refus de remplir les obligations familiales constituent des violences non prévues en tant que tels par le Code Pénal. Ces violences ont pour effet de compromettre ou d’annuler la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits humains et des libertés fondamentales des femmes dans tous les domaines de la vie.
En matière politique, l’inexistence d’une obligation pour les partis politiques de placer des femmes en position éligible de même que le refus des candidatures individuelles constituent un frein à la promotion des femmes. Il en est de même pour le manque de formation politique et le manque de soutien financier et l’absence de critères fiables pour accéder à certains postes de décision. Une réglementation claire en la matière permettrait de rendre effectifs les droits politiques des femmes.
DEUXIEME PARTIE : LES PERSPECTIVES : Suggestions d’actions
Les rapports sociaux entre hommes et femmes sont exprimés dans les règles coutumières et religieuses et dans la législation d’une société donnée. Ces règles expriment les droits dont les femmes et les hommes peuvent se prévaloir, c’est à dire ce que les uns et les autres peuvent ou doivent accomplir, exiger mutuellement les uns des autres ou de la société.
Coutumes, religions et législations peuvent selon leur contenu, instaurer un équilibre ou au contraire créer un déséquilibre à l’égard de la femme car ces règles servent de référence aux individus dont elles orientent les comportements et les attitudes dans la société. Les acteurs qui sont chargés soit de créer les lois soit d’appliquer les règles coutumières, religieuses ou légales doivent être les 1ers agents du changement. En effet, l’exercice et le respect des droits des femmes dépendent dans une très large mesure des acteurs judiciaires tels que les magistrats, les avocats et la police judiciaire ; ils dépendent également des acteurs extrajudiciaires, tels que les chefs traditionnels et religieux qui interviennent dans la résolution informelle des conflits. Ils dépendent enfin des médecins qui sont souvent amenés à délivrer un certificat médical jouant parfois un rôle décisif dans l’établissement de la preuve nécessaire à la protection des droits des femmes victimes de violences. Mais encore faut-il qu’il y’ait de bonnes lois – D’où l’importance du rôle des élus, notamment des femmes élues.
Des actions à court terme peuvent être engagées en direction de ces différents acteurs. Il s’agira de plaidoyer en vue du respect des droits reconnus aux femmes d’une part et d’autre part en vue de la relecture des textes discriminatoires et l’adoption de nouveaux texte pour combler les vides juridiques.
1. Plaidoyer pour une meilleure contribution des chefs traditionnels et religieux au respect effectif des droits des femmes
De par leur position les chefs traditionnels et religieux sont en mesure d’apporter une contribution au respect des droits des femmes et à une réduction substantielle des déséquilibres entre hommes et femmes.
Les chefs religieux et traditionnels
Deux sortes de stratégies peuvent être envisagées : des stratégies générales et des stratégies spécifiques.
Stratégies générales
Il s’agit de valoriser les femmes au sein des communautés religieuses par diverses actions dont :
Sensibilisation sur les droits des femmes. Les chefs religieux pourraient expliquer aux fidèles que la promotion des droits de la femme loin d’être contraire aux écritures saintes contribue aux mieux être des hommes et de la communauté.
L’interprétation plus objective de la notion religieuse de la soumission des femmes aux hommes. Cette soumission, si elle est voulue par Dieu, ne peut en aucun être oppressante pour la femme. Dans le cas contraire, la religion cesse être une voie d’épanouissement de la femme.
La cessation de la diabolisation de la femme dans les textes religieux.
Stratégies spécifiques
Promotion du mariage civil : tout chef traditionnel ou religieux qui célèbre un mariage devrait encourager le couple à faire le mariage civil.
Règlement impartial et rapide des contentieux entre les couples.
L’on ne devrait pas continuer à solliciter de la femme plus de sacrifices qu’à son conjoint ni à couvrir les abus de tous ordres perpétrés contre les femmes. Les chefs traditionnels devraient saisir l’opportunité des règlements informels des conflits pour opérer les changements nécessaires au respect effectif des droits des femmes. La position du chef de Kombisiri par rapport à l’exclusion sociale des femmes pour fait de sorcellerie peut être citée en exemple. Ce serait aussi une bonne opportunité pour éduquer les propositions en vue des changements souhaités.
2. Plaidoyer pour une application effective des textes tenant compte du genre
Les acteurs judiciaires que sont les magistrats, avocats, police judiciaire doivent être sensibilisés au genre afin qu’ils fassent une application plus juste des textes et des procédures.
3. Plaidoyer pour l’adoption de dispositions légales comblant les vides juridiques
Ce plaidoyer s’adresse aux députés, notamment les femmes députées, qui pourraient ainsi introduire des propositions de loi favorables aux droits des femmes
4. Plaidoyer pour une meilleure compréhension du rôle du corps médical dans la protection des droits des femmes
Les médecins doivent être sensibles aux faits que refuser d’établir un certificat médical constatant l’état d’une femme victime de violence c’est la priver d’une preuve et c’est aussi assurer l’impunité à l’auteur de ces violences.
Les femmes au Burkina Faso souffrent moins de l’absence de textes protégeant leur droit que de l’ignorance de l’existence de ces textes ou des difficultés de leur mise en œuvre résultant de la conception patriarcale de notre société. Un changement de mentalité s’impose à tous les niveaux de même que la nécessité d’intégrer l’approche genre afin de permettre à la femme de jouer sa partition dans le développement national et de bénéficier à part entière des fruits de ce développement.
Documents complémentaires
Rapports alternatif et de l’état 2005 du Burkina Faso pour la CEDEF
Loi sur le quota des femmes au Burkina Faso
Nouvelle politique genre du Burkina Faso