L’influence de l’industrie, notamment le lobbying contre les mesures vitales de soutien à l’allaitement maternel, met gravement en péril la santé et les droits des femmes et des enfants. C’est ce qu’indique une nouvelle série de trois articles publiés mercredi 8 février 2023dans la revue The Lancet.
« Ces nouveaux travaux de recherche mettent en évidence le vaste pouvoir économique et politique des grandes entreprises de préparations pour nourrissons, ainsi que les graves échecs des politiques publiques qui empêchent des millions de femmes d’allaiter leurs enfants », a déclaré le Professeur Nigel Rollins, Scientifique à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et auteur d’un article sur la commercialisation des substituts au lait maternel.
« Des mesures doivent être prises dans différents domaines de la société pour mieux aider les mères à allaiter aussi longtemps qu’elles le souhaitent, parallèlement aux efforts visant à lutter une fois pour toutes contre la commercialisation abusive de préparations pour nourrissons », a-t-il ajouté.
Avantages considérables de l’allaitement
L’allaitement maternel présente des avantages considérables et irremplaçables aux nourrissons et aux jeunes enfants. En effet, il permet aux enfants de survivre et de se développer au maximum de leur potentiel, offrant des avantages nutritionnels considérables, réduisant les risques d’infection et baissant les taux d’obésité et de maladies chroniques plus tard dans la vie.
Toutefois, à l’échelle mondiale, seule environ la moitié des nouveau-nés sont mis au sein dans l’heure qui suit leur naissance, tandis que moins de la moitié des nourrissons de moins de 6 mois sont exclusivement allaités au sein, conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.
Compte tenu des contributions significatives de l’allaitement maternel à la santé des personnes, The Lancet recommande un soutien beaucoup plus ainsi, important à l’allaitement maternel dans les systèmes de soins de santé et de protection sociale, y compris la garantie d’un congé de maternité suffisamment rémunéré.
Hélas, à ce jour, environ 650 millions de femmes ne bénéficient pas d’une protection de la maternité adéquate, indiquent les articles.
Les allégations trompeuses en matière de commercialisation ainsi que le lobbying stratégique exercé par les industries des produits laitiers et des préparations pour nourrissons viennent s’ajouter aux défis auxquels les parents sont confrontés, en augmentant l’anxiété concernant l’allaitement maternel et les soins aux nourrissons.
Un marketing abusif
C’est en 1981 que l’Assemblée mondiale de la santé a élaboré le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel, suite à la publication, dans les années 1970, du rapport d’enquête intitulé « Le tueur de bébés » sur la commercialisation des préparations pour nourrissons par le groupe Nestlé dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Cependant, la commercialisation agressive des préparations pour nourrissons se poursuit pratiquement sans relâche, les ventes de ces produits approchant désormais les 55 milliards de dollars par an.
La série documente comment les allégations trompeuses en matière de commercialisation exploitent directement les angoisses des parents concernant les comportements normaux des nourrissons, suggérant que les produits laitiers commerciaux atténuent l’agitation ou les pleurs, par exemple, qu’ils aident à lutter contre les coliques ou prolongent la durée de sommeil nocturne. Les auteurs soulignent que, lorsque les mères bénéficient d’un soutien adéquat, ces préoccupations parentales peuvent être gérées avec succès grâce à l’allaitement maternel exclusif.
« L’industrie des préparations pour nourrissons utilise des données scientifiques insuffisantes pour suggérer, avec peu de données probantes, que leurs produits sont des solutions aux problèmes courants de santé et de développement des nourrissons », a déclaré la Professeure Linda Richter de l’Université de Witwatersrand, en Afrique du Sud. « Cette technique de commercialisation est clairement une violation du Code de 1981, qui stipule que l’étiquetage ne doit pas idéaliser l’utilisation des préparations pour vendre plus de produits ».
De plus, le marketing du lait maternisé exploite le manque de soutien à l’allaitement maternel de la part des pouvoirs publics et de la société, tout en utilisant de manière abusive les politiques en matière de genre pour vendre ses produits. Il s’agit notamment de présenter la défense de l’allaitement maternel comme un jugement moralisateur, tout en présentant les substituts au lait maternel comme étant une solution pratique et valorisante pour les mères qui travaillent.
La série d’articles attire également l’attention sur le pouvoir de l’industrie de lait maternisé d’influencer les décisions politiques nationales et d’entraver les processus réglementaires internationaux. En particulier, les industries des produits laitiers et des préparations pour nourrissons ont établi un réseau d’associations commerciales et de groupes de pression qui ne rendent pas de comptes et qui font pression contre les mesures politiques visant à protéger l’allaitement maternel ou à contrôler la qualité des préparations pour nourrissons.
Des changements à l’échelle de la société sont nécessaires
Les auteurs de ces articles insistent aussi sur la nécessité de soutenir plus efficacement les femmes qui souhaitent allaiter sur les lieux de travail, dans les services de santé, au sein des pouvoirs publics et des communautés afin que cette démarche devienne une responsabilité sociétale collective plutôt que de faire porter la responsabilité aux femmes.
Ils soulignent notamment combien il est urgent de veiller à ce que les femmes bénéficient de protections adéquates de la maternité prévues par la loi, particulièrement un congé de maternité rémunéré correspondant, au minimum, à la durée de six mois qui est recommandée par l’OMS pour l’allaitement exclusif. Par ailleurs, les mesures de protection de la maternité devraient être étendues aux millions de femmes qui travaillent dans le secteur informel et qui sont actuellement exclues de ces avantages, indiquent le document.
« Compte tenu des avantages considérables de l’allaitement pour leur famille et le développement national, les femmes qui souhaitent allaiter doivent être beaucoup mieux soutenues pour pouvoir atteindre leurs objectifs en matière d’allaitement », a déclaré le Professeur Rafael Pérez-Escamilla de la Yale School of Public Health. « Il est essentiel d’élargir considérablement la formation des professionnels de la santé en matière d’allaitement, et d’instaurer un congé de maternité légal rémunéré et d’autres protections ».
Selon les articles, il est essentiel d’élargir la formation des agents de santé sur l’allaitement maternel afin qu’ils puissent fournir des conseils qualifiés aux parents avant et après la naissance.
Source:news.un.org