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La région du Nord fait partie de celles durement touchées par la crise sécuritaire. Selon le CONASUR, la région enregistrait en mars 2023, environ 256 060 personnes déplacées internes, parmi lesquels on compte 136 616 femmes. Beaucoup d’entre elles sont confrontées à la précarité et à la vulnérabilité au quotidien. Certaines, par contre, ont choisi la voie de la résilience et développent des initiatives pour tirer leur épingle du jeu. A la faveur du forum des femmes du Nord et du Sahel, nous avons rencontré Djénéba Sodré/Sangarba, coordonnatrice régionale des structures féminines de la région du Nord. Dans cette interview, elle s’épanche sur les défis rencontrés par les femmes de la région ainsi que sur le rôle que celles-ci pourraient jouer dans la consolidation de la paix et de la cohésion sociale.

Lefaso.net : Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les femmes de la région du Nord, surtout en lien avec la situation sécuritaire ?

Djénéba Sodré/Sangarba : À l’image de toutes les régions affectées par la crise sécuritaire, la région du Nord rencontre des défis. Et ces défis ont été renforcés. La région rencontrait déjà des problèmes liés à l’approvisionnement en eau, en bois de chauffe et d’autonomisation des femmes. Avec le contexte actuel, la situation des femmes est devenue encore plus précaire. Les femmes sont conscientes de leurs potentialités et de leurs compétences et s’organisent en structures pour répondre aux besoins les plus urgents et aussi se faire entendre par les autorités compétentes et les structures qui se battent pour le relèvement économique des femmes.

Parlez-nous des initiatives développées par les femmes pour être résilientes face à la situation sécuritaire ?

Les initiatives sont nombreuses car les femmes de la région sont sur toute la chaîne de production et de commercialisation. Par exemple, dans le domaine agricole, les femmes s’investissent dans les domaines de la production où elles louent souvent des terres pour produire à grande échelle et celui de la transformation et de la commercialisation. Il en est de même dans l’élevage ainsi que les petites activités génératrices de revenus. Les femmes du Nord excellent particulièrement dans la transformation des produits locaux et la commercialisation des légumes. Au-delà de tout cela, il y a des filières dites à dominante masculine dans lesquelles les femmes arrivent à tirer leur épingle du jeu. Donc c’est tout un ensemble de divers domaines que les femmes ont investi pour assurer leur autonomisation économique. Elles arrivent malgré les difficultés qu’elles vivent et qui sont liées aux violences basées sur le genre, à s’en sortir et à relever certains défis. Au-delà de tout cela, les femmes sont des actrices incontournables de la paix et de la cohésion sociale.

Parlant de paix et de cohésion sociale, quelle peut être l’implication des femmes dans la consolidation de la paix dans notre pays ?

L’organisation communautaire des femmes leur permet d’être au parfum de tout et de « mettre la bouche dans tout ». Donc faire d’elles des actrices de paix, les amène à prendre conscience de ce qu’elles entendent comme information et de ce qu’elles pourraient dire qui puisse soit apporter la paix ou la détériorer. Autre aspect, il s’agit de l’éducation des enfants. Très souvent, les femmes sont au cœur de l’éducation de la famille. Elle est généralement la première à constater les changements et si elle sait qu’elle va être écoutée, rapidement elle peut attirer l’attention pour permettre de corriger rapidement l’écart qui est en train de se produire au niveau de son fils, son frère ou même de son époux. Au-delà de la prise de conscience personnelle et du rôle d’éducatrice, la femme peut aussi avoir le rôle d’informatrice. En allant au marché, au puits ou même en discutant devant sa porte, elle peut voir ou entendre des choses qui peuvent être partagées à la bonne personne ou à l’autorité compétente. Les femmes peuvent donc alerter à temps et faire des signalements en cas de besoin. Par-dessus tout, la femme a, je dirai, comme un don divin de personne qui recherche la paix. La femme très souvent n’est pas très conflictuelle. Ce caractère inné lui permet également au milieu des hommes et des jeunes, de pouvoir donner de la voix et inviter à la prudence face à certains comportements. Il est donc important de mettre les femmes au cœur de la recherche de la paix et de la cohésion sociale, pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle.

Comment alors accompagner les femmes pour qu’elles puissent jouer ce rôle de médiatrices et d’actrices dans le maintien de la paix et de la cohésion sociale ?

La situation que nous vivons actuellement, témoigne que l’on a failli quelque part au niveau de nos familles. D’où l’importance de faire revenir la femme dans les différentes sphères de prise de parole et de discussion. Qui mieux qu’une femme pour traduire les

sentiments des autres femmes. Il faut que l’on puisse accepter cela. Également, nous avons besoin de renforcer les capacités des femmes, afin qu’elles puissent connaître les conflits, les signaux d’alerte, etc. À la suite des renforcements de capacités, il faut organiser les femmes, et faire d’elles des actrices de sensibilisation de proximité et d’éducatrices pour mieux comprendre leurs enfants et mieux les éduquer. Les femmes doivent également s’élever à un certain niveau, pour suivre l’évolution des choses, surtout avec les technologies qui sont beaucoup utilisées par leurs enfants. Cela leur permettra de mieux comprendre les choses et de bien éduquer leurs enfants.

Avez-vous un appel à lancer à l’endroit des femmes ?

J’attire l’attention de toutes les femmes sur le fait que le contexte d’insécurité actuel, doit nous amener à taire nos divergences, et aller à la solidarité, chacune à son niveau. Aussi, j’invite les partenaires à accompagner l’État pour la mise en œuvre des politiques en faveur de l’épanouissement des femmes. C’est vrai qu’au regard du contexte, les priorités peuvent être nombreuses, mais la priorité des priorités reste la femme. Enfin, j’invite la presse à mettre en lumière et à valoriser les femmes qui sortent du lot. Lorsqu’on valorise les actions des femmes, cela les booste davantage et permet aux autres femmes de les identifier comme des exemples.

Propos recueillis par Armelle Ouédraogo

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