Avec plus de 75 % de sa population de 1,2 milliard ayant moins de 35 ans, dont 453 millions âgés de 15 à 35 ans, l’Afrique fait face à un défi majeur aujourd’hui : garantir une éducation de qualité pour sa jeunesse.
Pour explorer ce qui a été réalisé par l’Union Africaine dans l’éducation, ainsi que les problèmes auxquels les pays du continent font face pour éduquer leurs enfants, Echorouk Online a interviewé Mme Simone Yankey-Ouattara, coordonnatrice du Centre international pour l’éducation des filles et des femmes en Afrique (UA-CIEFFA), une institution relevant du département chargé de l’éducation, de la science, de la technologie et de l’innovation de l’Union Africaine.
Echoroukonline.com : L’année 2024 a été choisie par l’Union Africaine comme « Année de l’éducation », avec pour objectif d’accélérer les progrès vers une éducation de qualité pour tous. Quels sont les principaux facteurs ayant conduit au choix de ce thème, et quels résultats concrets espérez-vous obtenir ?
Simone Yankey-Ouattara : Il faut dire qu’en 2022, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies, un sommet international sur la transformation de l’éducation a été organisé pour faire face à la crise de l’éducation, à l’inclusion et à la qualité de l’éducation. En marge de ce sommet mondial, l’Union africaine a également tenu un sommet africain sur la transformation de l’éducation à New York, auquel ont participé de nombreux chefs d’État, ainsi que le président de la Commission de l’Union africaine et différentes agences des Nations Unies qui souhaitaient mettre l’accent sur la cause de l’éducation. C’est de là que les négociations pour faire de 2024 l’année de l’éducation ont commencé.
En 2023, les chefs d’État de l’Union africaine ont décidé que 2024 serait consacré à l’éducation, et les travaux ont alors démarré.
En 2024, l’année de l’éducation a été officiellement lancée sous le thème : « Éduquer une Afrique digne du 21e siècle : construire des systèmes éducatifs résilients pour un accès accru, un apprentissage inclusif tout au long de la vie, de qualité et pertinent en Afrique. » Ce choix est porteur et a été mûrement réfléchi. Il ne s’agit pas simplement de consacrer 2024 à l’éducation, mais de renforcer des systèmes éducatifs résilients. En effet, la COVID-19 a durement impacté les systèmes éducatifs africains, ce qui a mis en lumière la nécessité de mieux se préparer aux futures pandémies. Ce thème prend également en compte l’apprentissage tout au long de la vie, en lien avec l’objectif de développement durable 4 des Nations Unies, qui promeut cet apprentissage.
En outre, la qualité de l’éducation en Afrique est au cœur du thème, avec une attention particulière aux populations vulnérables, notamment les filles et les personnes en situation de handicap, pour qu’elles bénéficient d’une éducation de qualité. Plusieurs composantes sont ainsi réunies dans le thème de 2024, et les résultats attendus se trouvent dans les objectifs mêmes de ce thème. Nous espérons qu’à la fin de 2024, de nombreux pays africains adopteront cette orientation.
Récemment, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, aussi appelée le “Sommet du futur” en septembre, le président de la Commission de l’Union africaine, Son Excellence Moussa Faki Mahamat, a affirmé qu’il ne fallait pas se contenter de consacrer une seule année à l’éducation, mais plutôt une décennie entière. Nous espérons donc que 2024 sera la première étape, et que les États africains continueront chaque année à accorder une réelle priorité à l’éducation. L’objectif, d’ici la fin de l’Agenda 2063, est que les systèmes éducatifs africains deviennent solides, résilients, inclusifs et exempts de disparités entre les différentes populations.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles le continent africain fait face en matière d’éducation ?
Les difficultés sont nombreuses. Elles diffèrent d’un pays à un autre, car l’Afrique est un vaste continent aux réalités variées, avec des cultures, des traditions et des ressources très diverses. Même au sein d’un même pays, les réalités changent d’une région à une autre, d’une classe sociale à une autre, ou d’un groupe ethnique à un autre.
On peut cependant identifier quelques difficultés communes. Par exemple, l’accès à l’éducation demeure un problème dans de nombreux pays africains, en particulier ceux touchés par l’instabilité politique. Ensuite, il y a le défi des ressources financières, car l’éducation peut coûter cher, et son financement est souvent insuffisant dans certains pays où elle n’est pas suffisamment budgétisée.
Une autre difficulté majeure est le manque d’infrastructures éducatives. Parfois, les enfants vivent loin de leur école, ce qui décourage aussi bien les parents que les élèves. De plus, il y a des problèmes sociaux, politiques et militaires, notamment dans les pays du Sahel où, en raison du terrorisme, de nombreux déplacés internes et réfugiés voient les écoles disparaître. L’insécurité dissuade les familles d’envoyer leurs enfants à l’école.
Le manque d’enseignants est aussi un problème critique. On estime qu’il faudrait entre 15 et 18 millions d’enseignants pour combler les besoins en Afrique. Il y a également des difficultés liées à la nutrition : dans certains pays, les cantines scolaires et les programmes d’alimentation scolaire n’existent plus. Or, un enfant qui a faim ne peut pas apprendre correctement.
En ce qui concerne les filles, elles sont confrontées à des obstacles supplémentaires, comme les pesanteurs socioculturelles, le manque d’accès aux soins de santé reproductive, ou les menstruations qui compliquent leur assiduité à l’école. Le mariage précoce et les mutilations génitales féminines restent aussi des freins à la scolarisation des filles. Lorsqu’une fille est retirée de l’école pour être mariée ou subir une mutilation, elle ne peut plus poursuivre son parcours scolaire.
Cette liste n’est pas exhaustive, car chaque pays et chaque région a son propre contexte et ses propres défis.
Est-ce que ces différences entre les pays africains les empêchent de se rassembler, de réfléchir ensemble à des solutions pour l’éducation et de les mettre en œuvre collectivement ?
Bien sûr que non, justement. C’est pourquoi les chefs d’État africains se réunissent lors des sommets, et même au-delà. Comme je le disais, tout récemment en septembre, pendant l’Assemblée générale des Nations unies, les chefs d’État ont de nouveau été invités à se réunir pour réfléchir ensemble. Au-delà des chefs d’État, il y a aussi des experts en éducation qui se retrouvent pour penser à des solutions communes.
Le département en charge de l’éducation, de la science, de la technologie et de l’innovation de l’Union africaine organise de nombreuses activités, souvent en collaboration avec des agences des Nations unies, des organisations de la société civile, des partenaires au développement et des philanthropes. Chaque thématique de la Stratégie continentale pour l’éducation en Afrique (CESA) y est abordée.
Dans le cadre de l’année 2024 dédiée à l’éducation, par exemple, des rencontres avec des experts ont eu lieu pour discuter de la manière de résoudre le problème de l’apprentissage chez l’enfant africain, qui rencontre aujourd’hui des difficultés, que ce soit pour résoudre un problème mathématique ou pour lire. Les pays africains se rassemblent, partagent leurs expériences et échangent sur des solutions, comme comment obtenir plus de financements pour l’éducation ou comment partager les meilleures pratiques entre pays.
Chaque pays peut, par exemple, présenter les stratégies mises en œuvre pour surmonter certains défis. Ainsi, par exemple si l’Algérie a développé des approches spécifiques, elles peuvent être partagées pour inspirer d’autres pays.
Vous avez organisé au mois de juillet une conférence panafricaine sur l’éducation des femmes et des filles (PAN-COGED). Quelles sont les recommandations de cette conférence et comment elles seront mises en œuvre par les États membres?
La PAN-COGED (En anglais: African conference on girls and women’s education), est la première Conférence panafricaine de l’Union africaine sur l’éducation des filles et des femmes en Afrique, qui s’est tenue 30 ans après la première Conférence panafricaine sur l’éducation des filles à Ouagadougou, et cette année en 2024, l’UA-CIEFFA, à travers le département Éducation, Sciences et Technologies, a jugé essentiel de mettre en avant la thématique de l’éducation des filles et des femmes dans le cadre du thème de l’année 2024. Dans la feuille de route pour ce thème, l’objectif est de mettre l’accent sur l’éducation des filles et des personnes vulnérables. C’est dans ce contexte que la PAN-COGED s’est tenue du 2 au 5 juillet 2024 à Addis-Abeba, au siège de la Commission de l’Union africaine, qui est un endroit symbolique pour nous. Cette conférence a réuni environ 600 personnes en présentiel et plus de 300 autres en ligne. Elle a permis d’aborder tous les obstacles à l’éducation des filles et des femmes, au-delà des défis socio-culturels et du financement, en incluant des enjeux tels que le changement climatique, les programmes de cantines scolaires, les violences basées sur le genre et les politiques éducatives sensibles au genre.
La conférence a rassemblé plus d’une douzaine de ministres de l’Éducation, une dizaine de ministres en charge du genre, ainsi que des chefs traditionnels et religieux venus de toute l’Afrique. La jeunesse africaine, des partenaires de développement des Nations unies, des organisations de la société civile, des enfants, et la presse étaient également présents.
Après quatre jours de travaux, un appel à l’action a été lancé, avec un accent particulier sur le renforcement de l’accès des filles à une éducation inclusive et de qualité, la promotion d’environnements d’apprentissage exempts de violences basées sur le genre, et l’intégration de politiques éducatives transformatrices sensibles au genre. Il a été recommandé que les États membres adoptent la campagne “Africa Educate Her” (en français “L’Afrique éduque sa fille”). À ce jour, quatre États membres ont lancé cette campagne, et la PAN-COGED a permis d’expliquer aux autres pays l’importance de leur engagement dans cette initiative. Suite à cette conférence, une dizaine de pays africains se sont engagés à adopter la campagne.
Ainsi, à l’occasion de la Journée internationale de la fille, qui coïncide avec le 11 octobre, deux autres pays ont rejoint la campagne.
L’espoir est que cet appel à l’action ne reste pas lettre morte. Nous travaillons pour que la PAN-COGED devienne un événement biennal. Nous espérons également que, dès 2025, les résultats de la PAN-COGED soient pris en compte lors du bilan de la mise en œuvre du thème de 2024 et que les États membres puissent témoigner de leurs actions concrètes. Au-delà de 2024, nous souhaitons que l’intégration du genre dans l’éducation en Afrique devienne une priorité et ne soit plus reléguée au second plan dans les politiques éducatives des pays africains.
Source:https://www.echoroukonline.com