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La découverte le 9 août dernier du corps ensanglanté d’une femme médecin dans un hôpital public de Calcutta continue de susciter l’indignation à travers tout le pays. Son meurtre et son viol ont mis en lumière les dures conditions de travail de ces femmes face aux risques de violences sexuelles, un fléau endémique en Inde.

Radhika, une médecin indienne de 28 ans, rêvait depuis son plus jeune âge de sauver des vies, mais depuis le viol et le meurtre d’une de ses collègues elle s’inquiète pour sa sécurité. « J’étais de service de nuit deux jours avant cet incident », explique Radhika qui exerce au sein de l’hôpital universitaire R.G. Kar à Calcutta. « Ce qu’elle a fait est ce que nous faisons toutes : se reposer dès que nous le pouvons et où nous le pouvons », dit-elle.

Cela aurait pu arriver à n’importe laquelle d’entre nous. Radhika, médecin à l’hôpital de Calcutta

La jeune femme assassinée – dont l’identité n’a pas été officiellement révélée mais que les manifestants ont surnommé « l’Abhaya » (l’intrépide) – a été retrouvée dans une salle de cours de l’hôpital universitaire, où elle était allée se reposer après de longues heures de travail. La police soupçonne un viol collectif en raison de l’importante quantité de liquide séminal retrouvé sur la dépouille de la victime, qui portait des traces de strangulation. 

Pour Radhika, dont le nom a été changé par craintes de représailles professionnelles, les horaires à rallonge, avec à peine le temps de manger ou se reposer, sont monnaie courante. « Cela aurait pu arriver à n’importe laquelle d’entre nous », souligne-t-elle. Radhika se souvient d’un moment terrifiant où deux hommes ont fait irruption dans la pièce où elle se reposait. « J’ai eu très peur ».

Colère en Inde

Le viol et le meurtre d’une jeune femme, médecin dans un hôpital public suscite une vague d’indignation et de colère en Inde. 

©AP Photo/Mahesh Kumar A.

Absence de mesures de sécurité

Des dizaines de milliers d’Indiens ont pris part aux manifestations, auxquelles avaient appelé les médecins pour obtenir la mise en place de mesures préventives, une manière pour eux d’exprimer leur colère face au problème chronique de la violence faite aux femmes.

Selon l’organisation Dasra, les femmes représentent près de 30% des médecins en Inde et 80% du personnel infirmier. Les agressions de praticiennes sont fréquentes.

Nous ne savons jamais si elles sont suivies. Indira Kabade directrice des soins de l’hôpital KC, Bengalore

La directrice des soins de l’hôpital KC dans la ville de Bengalore (sud), Indira Kabade, s’inquiète pour les employées rentrant chez elles après le travail. « Nous ne savons jamais si elles sont suivies », note-t-elle. « Bien que nous travaillions sans relâche pour sauver des vies, il est nécessaire de repenser la sécurité sur le lieu de travail », selon elle. Indira Kabade et beaucoup de ses collègues femmes veulent une « sécurité similaire à celle d’un aéroport », avec des policiers postés.

[traduction : La façon dont des centaines de milliers de femmes et d’hommes sont sortis de chez eux pour protester contre ce crime horrible montre une lueur d’espoir.]

La Cour suprême indienne a ordonné la création d’un groupe de travail pour renforcer la sécurité du personnel soignant, déclarant que « la brutalité de l’agression sexuelle et la nature du crime », commis le 9 août à Calcutta, « ont choqué la nation ». Elle s’est dite contrainte d’intervenir car « l’absence de mesures de sécurité dans les établissements de santé face à la violence à l’encontre du personnel constitue une grave préoccupation ». Cette juridiction a notamment souligné « le manque de caméras de vidéosurveillance » et de détecteurs de métaux pour les visiteurs dans les hôpitaux.

Slogan d'une manifestation en Inde
Des manifestants réclament justice après le viol et le meurtre d’une médecin dans un hôpital en Inde, le 9 août 2024.
©AP Photo/Bikas Das

Culture du silence et de l’impunité

L’atrocité des faits survenus à l’hôpital a réveillé le souvenir du viol et du meurtre dont avait été victime une jeune femme dans un autobus en 2012 à New Delhi.

Près de 90 viols par jour ont été signalés en 2022 dans ce pays de 1,4 milliard d’habitants. Les experts estiment toutefois que ce chiffre ne représente que la partie émergée de l’iceberg, en raison de la culture du silence qui prévaut dans cette société très patriarcale.

Lorsqu’un tel crime se produit dans un endroit que nous considérons comme le plus sûr, nous sommes tous effrayés. Une médecin de Thiruvananthapuram, Etat du Kerala

Dans des hôpitaux aux conditions sanitaires déplorables, il existe des toilettes pour les médecins, mais les hommes et les femmes doivent les partager, et certaines ne ferment pas à clé.

Une femme médecin de Thiruvananthapuram, une ville de l’Etat du Kerala (sud), affirme être, tout comme ses collègues, victime quotidiennement d’agressions verbales ou physiques. Les femmes médecins ont été encouragées à participer à des cours d’autodéfense organisés par l’association des médecins. « Certaines personnes qualifient les médecins de dieux ou d’anges », souligne cette femme exerçant son métier au Kerala. « Nous pensons donc que nous sommes à l’abri des crimes. Et lorsqu’un tel crime se produit dans un endroit que nous considérons comme le plus sûr, nous sommes tous effrayés ».

Justice pour Moumita

Un autel dressé à la mémoire de la femme médecin, violée et tuée dans un hôpital en Inde.

capture d’ecran

#JusticepourMoumita

Depuis ce nouveau drame, le mot dièse #JusticeforMoumita est devenu viral sur les réseaux sociaux en soutien à la victime, devenue symbole de toutes les femmes qui subissent des violences sexuelles en Inde.

Les corps des femmes continuent à être la cible d’un continuum de violence. Aurélie Leroy, chargée d’études au CETRI, sur X

« Au cours de la dernière décennie, les crimes commis à l’égard des femmes n’ont cessé d’augmenter, s’indigne sur X, Aurélie Leroy, historienne et membre de l’organisation belge Centre tricontinental, Les corps des femmes continuent à être la cible d’un continuum de violence en particulier les femmes appartenant à des communautés marginalisées »

Dans un article publié sur le site de l’organisation, elle ajoute : « Depuis une décennie au pouvoir, Modi promet l’égalité et la protection des femmes en Inde, mais la réalité est tout autre. Les violences de genre ne cessent de croître, la participation des femmes au marché du travail est faible et les initiatives du Bharatiya Janata Party (BJP), comme les quotas parlementaires, semblent davantage servir des objectifs politiques qu’émanciper véritablement les femmes. Au final, les inégalités et la violence de genre persistent et la culture de l’impunité règne ».

Source:https://information.tv5monde.com