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Il y a trente ans, en 1995, lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, les dirigeants de 189 pays et plus de 30 000 activistes se réunissaient pour élaborer une feuille de route visionnaire afin de parvenir à l’égalité des droits pour les femmes et les filles. Cette feuille de route, connue sous le nom de Déclaration et Programme d’action de Beijing, est devenue l’agenda mondial pour les droits des femmes réunissant le plus large consensus.

Ancrée dans le vécu et les revendications des femmes et des filles, la Déclaration de Beijing énonçait 12 domaines d’action critiques, notamment la violence à l’égard des femmes.

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Gertrude Mongella (à gauche, debout sur l’estrade), Secrétaire générale de la Conférence, prend la parole lors de la session du 4 septembre 1995.  Photo : Photo ONU/Milton Grant
Gertrude Mongella (à gauche, debout sur l’estrade), Secrétaire générale de la Conférence, prend la parole lors de la session du 4 septembre 1995. Photo : Photo ONU/Milton Grant

À l’approche de leur 30e anniversaire en 2025, la Déclaration et le Programme d’action de Beijing demeurent le fondement du mouvement pour les droits des femmes et l’égalité des genres, au regard desquels les gouvernements, les activistes et les Nations Unies évaluent les progrès accomplis, s’attaquent aux problèmes et s’engagent à consacrer des ressources pour mettre en œuvre l’action à mener.

À l’occasion des 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, découvrez comment la Déclaration et le Programme d’action de Beijing ont transformé l’agenda de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles, et ce que cela implique aujourd’hui.

Les droits des femmes sont des droits humains : Un tournant en faveur de l’égalité des genres

C’est lors de la Conférence mondiale des Nations Unies sur les droits humains qui s’est tenue  à Vienne en 1993, que les droits des femmes ont pour la première fois été explicitement reconnus en tant que droits humains.

« Les droits humains sont les droits des femmes et les droits des femmes sont des droits humains » devint le cri de ralliement des féministes lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Beijing. Cette formule provenait d’un discours prononcé par Hillary Rodham Clinton, la Première dame des États-Unis d’Amérique de l’époque.

Le Programme d’action de Beijing confirmait le droit des femmes à vivre sans violence.

Cette conférence a servi de point de départ aux féministes pour s’organiser et plaider en faveur de la ratification d’un autre accord international majeur : la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1979, et son Protocole facultatif, mesure parachevée en 1999 autorisant les individus à signaler directement les violations au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. L’adoption de cette Convention a exercé des pressions politiques sur les gouvernements pour lutter contre la violence à l’égard des femmes et des filles. 

Que les droits des femmes soient des droits humains ne fait pas débat aujourd’hui. Il n’en demeure pas moins qu’une femme sur trois subit des violences au cours de sa vie et que toutes les 10 minutes, une femme est tuée délibérément par son compagnon ou un membre de sa famille. Force est de constater qu’aucun pays n’a tenu la promesse d’une vie sans violence à l’égard des femmes.

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Des manifestants à Cox’s Bazar, au Bangladesh, portent des pancartes protestant contre la violence sexuelle et basée sur le genre lors des « 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre » en novembre 2022. ONU Femmes/Sultan Mahmud Mukut
Des manifestants à Cox’s Bazar, au Bangladesh, portent des pancartes protestant contre la violence sexuelle et basée sur le genre lors des « 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre » en novembre 2022. ONU Femmes/Sultan Mahmud Mukut

Lois de protection contre la violence domestique : Une montée en puissance dans la foulée de Beijing

En 1994, une douzaine de pays imposaient des sanctions légales contre la violence domestique.

Après la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, leur nombre a rapidement augmenté. Aujourd’hui, la base de données mondiale des Nations Unies relative à la violence à l’égard des femmes recense 1 583 mesures législatives dans 193 pays, dont 354 ciblent spécifiquement la violence domestique.

Des études montrent que l’adoption d’accords internationaux et régionaux sur les droits humains et la mobilisation sociale féministe ont incité à adopter des lois et des politiques progressistes.

Aujourd’hui, il existe quantité de preuves que les lois sur la violence domestique font reculer la violence entre partenaires intimes. Les pays dotés de telles lois font état d’un taux de prévalence de 9,5 %, par rapport à un taux de 16,1 % dans ceux dépourvus de législation sur la violence domestique. Pour autant, l’application de ces lois demeure imparfaite et on constate des insuffisances en termes de services complets de protection juridique et de soutien aux survivantes.

Faire évoluer les normes sociales et élargir les services essentiels destinés aux survivantes

La Déclaration de Beijing a été révolutionnaire dans son approche holistique de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles. Elle a appelé à élargir l’accès aux services essentiels, notamment en matière de refuges, d’aide judiciaire, de soins médicaux et de soutien psychologique. Avant 1995, il n’existait que 19 mécanismes institutionnels de lutte contre la violence familiale ; plus de 95 % de ces dispositifs ont été mis en place après le Programme d’action de Beijing.

La Déclaration et le Programme d’action de Beijing ont également mis l’accent sur la prévention, en exhortant les gouvernements et les acteurs du développement international à investir dans des campagnes d’éducation et de sensibilisation qui remettent en question les normes sociales et les stéréotypes contribuant à la persistance de la violence à l’égard des femmes. 

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Activiste de la société civile devant le Parlement à Beyrouth qui salue l’abolition de l’article 522 du Code pénal libanais le 17 août 2017.  Dans la foulée de l’abrogation de lois discriminatoires sur le viol en Jordanie et en Tunisie, le Parlement libanais convient à son tour le 16 août d’abolir l’article 522 du Code pénal, la tristement célèbre « loi sur le viol »  ou loi « viol-mariage », qui permettait aux violeurs d’éviter des poursuites judiciaires en épousant leurs victimes. Photos avec l’aimable au
Activiste de la société civile devant le Parlement à Beyrouth qui salue l’abolition de l’article 522 du Code pénal libanais le 17 août 2017. Dans la foulée de l’abrogation de lois discriminatoires sur le viol en Jordanie et en Tunisie, le Parlement libanais convient à son tour le 16 août d’abolir l’article 522 du Code pénal, la tristement célèbre « loi sur le viol » ou loi « viol-mariage », qui permettait aux violeurs d’éviter des poursuites judiciaires en épousant leurs victimes. Photos avec l’aimable autorisation d’ABAAD

L’importance des données sur la violence à l’égard des femmes

Ce qui n’est pas mesuré n’existe pas. Sans données de qualité sur la violence à l’égard des femmes et des filles, il est impossible que les lois et les politiques prennent suffisamment en compte la réalité du quotidien des femmes.

Avant 1995, la plupart des données sur la violence à l’égard des femmes provenaient d’études limitées et ponctuelles. La Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes de 1993 avait appelé les gouvernements à collecter des données sur la violence à l’égard des femmes, en particulier la violence familiale. La Déclaration et le Programme d’action de Beijing appelaient eux aussi à la collecte systématique de données, ce qui a ouvert la voie à des enquêtes nationales et à des études internationales comme l’Étude multipays de l’OMS sur la violence domestique.

Entre 1995 et 2014, 102 pays ont réalisé des enquêtes nationales sur la violence à l’égard des femmes.

Il existe aujourd’hui des initiatives mondiales comme le programme Women Count d’ONU-Femmes et la base de données mondiale sur la violence à l’égard des femmes, qui suivent les progrès réalisés et font ressortir les domaines nécessitant une action urgente. Depuis sa création en 2016, le programme Women Count aide les pays à collecter davantage de données sur la violence à l’égard des femmes et il a également été le fer de lance de la création d’un cadre pour mesurer la violence facilitée par les technologies.

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Novembre 2017, à Montevideo en Uruguay, deux manifestations simultanées empruntant l’« Avenida 18 de Julio », organisées par un collectif de la société civile, Mujeres de Negro, et les femmes féministes de l’EFLAC (Encuentro Feminista Latinoamericano y del Caribe), ont rassemblé plus de six mille personnes pour se mobiliser contre les féminicides.
Novembre 2017, à Montevideo en Uruguay, deux manifestations simultanées empruntant l’« Avenida 18 de Julio », organisées par un collectif de la société civile, Mujeres de Negro, et les femmes féministes de l’EFLAC (Encuentro Feminista Latinoamericano y del Caribe), ont rassemblé plus de six mille personnes pour se mobiliser contre les féminicides. Photo : ONU Femmes/Sahand Minae

Le pouvoir des mouvements féministes et des organisations de femmes

Le Programme d’action de Beijing a reconnu la capacité des mouvements féministes et de la société civile à influer sur l’élaboration des politiques et à soutenir les survivantes. Comme les études le confirment, la présence d’un mouvement féministe fort et autonome est déterminante pour œuvrer en faveur de l’éradication de la violence à l’égard des femmes et des filles.

Pourtant, en 2022, les pays ont consacré moins d’un pourcent de l’aide au développement pour lutter contre la violence basée sur le genre, et seule une fraction de cette aide a été versée à des organisations de femmes.

Le Fonds d’affectation spéciale des Nations Unies pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, géré par ONU Femmes au nom du système des Nations Unies, est le seul mécanisme mondial d’octroi de subventions dédié à des initiatives ayant vocation à mettre fin à toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles. En 1996, la résolution 50/166 de l’Assemblée générale des Nations Unies appelait à la création du Fonds d’affectation spéciale des Nations Unies conformément aux mesures énoncées dans la Déclaration et le Programme d’action de Beijing. À ce jour, ce Fonds a alloué 225 millions de dollars à 670 initiatives dans 140 pays et territoires.

De plus, la Coalition d’action sur la violence fondée sur le genre de Génération Égalité se donne pour but de porter à 500 millions de dollars les financements nationaux versés à des organisations de défense des droits des femmes et dirigées par des filles, d’ici 2026. Ces efforts ont donné jour à des engagements qui changent la donne, comme le nouveau programme ACT pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes d’ONU Femmes, porté par un investissement de 22 millions d’euros de la part l’UE pour le renforcement des mouvements de défense des droits des femmes et leur plaidoyer.

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À l’occasion de l’ouverture de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Beijing, en Chine, Nana Konadu Agyeman Rawlings, Première dame du Ghana, s’adresse à des correspondants lors d’une réunion sur l’éducation, la santé et le développement durable.
À l’occasion de l’ouverture de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Beijing, en Chine, Nana Konadu Agyeman Rawlings, Première dame du Ghana, s’adresse à des correspondants lors d’une réunion sur l’éducation, la santé et le développement durable. Photo : Photo ONU/Chen Kai Xing

La promotion des droits des filles : À l’époque et de nos jours

La Déclaration et le Programme d’action de Beijing constituaient le premier document d’orientation mondial sur les femmes à mettre spécifiquement l’accent sur les droits des filles et la lutte contre la violence à l’égard des filles.

Ils appelaient les gouvernements à ratifier la Convention relative aux droits de l’enfant, à assurer l’enregistrement des naissances et l’identité nationale des filles et à promouvoir l’accès des filles à des programmes d’études en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM). Ils ont aussi énoncé des mesures destinées à protéger les filles contre la violence basée sur le genre, notamment des pratiques telles que le mariage d’enfants, les mutilations génitales féminines et les grossesses chez les adolescentes, autant de problèmes qui restreignent encore aujourd’hui les droits, la santé et le bien-être des filles. 

Malgré les progrès réalisés, de nouveaux défis tels que le changement climatique et le cyberharcèlement exacerbent la violence à l’égard des , comme le montre le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU.

Alors que neuf millions de filles sont exposées au risque d’être mariées avant l’âge adulte d’ici 2030, et sachant qu’ à l’âge de 19 ans, une adolescente sur quatre a déjà été victime de violences de la part d’un partenaire, le Programme d’action de Beijing reste un modèle essentiel pour protéger les droits des filles et faire en sorte qu’elles aient voix au chapitre.

Source:news.un.org