Durant le débat annuel du Conseil de sécurité sur les Femmes, la paix et la sécurité, jeudi 20 octobre 2022, Amina Mohammed, Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, et Sima Bahous, Directrice exécutive d’ONU Femmes, ont prôné la protection des femmes défenseures des droits humains et appelé à enrayer le recul de la participation des femmes aux décisions politiques.
Le débat s’est déroulé alors qu’un nouveau rapport des Nations Unies met en lumière l’effet dévastateur de la détérioration de la paix et de la sécurité sur la vie et les droits des femmes.
Devant le Conseil de sécurité, Amina Mohammed a évoqué les défis rencontrés aujourd’hui, de la prolifération des conflits à l’aggravation des atteintes aux droits humains, qui, de tant de façons, contribuent à voir piétinés les droits de femmes et à nourrir une misogynie profondément ancrée dans le monde entier.
Certes, le rapport confirme que dans de nombreux pays, des groupes extrémistes violents et des acteurs militaires ont pris le pouvoir par la force et révoqué rapidement les engagements antérieurs en matière d’égalité des sexes, et engagé des persécutions contre les femmes, « parce qu’elles osent s’exprimer, ou simplement parce qu’elles sont des femmes ».
La situation en Afghanistan
ONU Femmes décrit ainsi la situation en Afghanistan comme l’une des expressions les plus extrêmes de la régression des droits des femmes et des filles, illustrée par la fermeture, sur ordre des Talibans, des établissements d’enseignement secondaire pour les filles, par l’interdiction de montrer leur visage en public et par les restrictions à leur droit de sortir de leur propre foyer. Dans le même temps, partout dans le monde, les violences et les attaques contre les femmes défenseures des droits humains connaissent une augmentation.
« De l’Iran au Tigré, en passant par l’Ukraine et l’Afghanistan, elles risquent tous les jours leurs vies au nom de la paix et des droits humains, au bénéfice de leurs communauté et de notre planète », a déclaré Sima Bahous, Directrice exécutive d’ONU Femmes.
Célébrant leur courage et leur engagement qui incarne les idéaux de ce Conseil, elle a évoqué le sort de Daniela Soto, défenseure des droits des femmes autochtones en Colombie, blessée de deux balles par des civils armés en mai dernier et venue cinq mois plus tard attirer l’attention du Conseil de sécurité sur les meurtres continuels de femmes leaders autochtones dans son pays, ainsi que la mort de l’infirmière et militante soudanaise Siti Ainfor Ahmed Bakr, abattue par les forces de sécurité durant une manifestation pacifique il y a un an.
Sima Bahous a aussi rappelé que ces incidents reflètent une tendance plus grande : le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a récemment signalé que 60% des quelque 350 cas individuels d’intimidation ou de représailles pour coopération avec l’ONU au cours de l’année écoulée concernaient des femmes. Les enquêtes d’ONU Femmes montrent que près d’un tiers des représentantes de la société civile qui ont informé le Conseil ont également fait l’objet de représailles. En 2021, 29 femmes défenseures, journalistes ou syndicalistes ont été tuées, et ce bilan officiel cache assurément des chiffres bien plus élevées.
Protéger les défenseures des droits humains
La Vice-Secrétaire générale de l’ONU a rappelé pour sa part la priorité à la protection des défenseures des droits humains parmi les actions transformatives prônées par le chef de l’ONU pour la décennie en cours. En Afghanistan, la mission des Nations Unies a condamné publiquement la violence contre ces femmes, les exécutions extrajudiciaires, les arrestations et les détentions arbitraires et l’usage de la torture, a-t-elle souligné, ajoutant que le Fonds humanitaire pour les femmes et la paix, qui soutient déjà 600 organisations locales de femmes agissant dans des situations de crises, a ouvert un nouveau volet pour aider les militantes en danger.
Pour sa part, Sima Bahous a rappelé que l’ONU en Libye a approché les réseaux sociaux pour combattre la désinformation et les attaques qui touchent les militantes, et que plus de 5.500 femmes leaders de Colombie ont bénéficié de la protection des Nations Unies.
S’il est déjà amplement démontré que les accords de paix sont plus solides et durables lorsque des femmes sont à la table des négociations, le rapport constate néanmoins un recul de leur participation. La représentation des femmes dans les processus de paix conduits par l’ONU en 2021 ne dépassait pas 19%, soit moins que l’année précédente, et était plus faible encore lorsque les Nations Unies n’étaient pas partie prenante.
De plus, on a assisté entre 2020 et 2021 à une baisse de la participation féminine dans toute les structures de direction et de management touchant aux réfugiés ou à la réponse à la pandémie de Covid-19. Dans le même temps, la représentation des femmes dans les parlements nationaux de pays en conflits était de 5% inférieure à la moyenne mondiale et 12% moindre dans les gouvernements locaux.
Amina Mohammed a décrit les efforts de l’ONU pour répondre à ces défis, tels l’objectif assigné par la mission de l’ONU au Soudan d’accroître à 40% la présence des femmes dans les délégations de pourparlers de paix, et les 38% de femmes aujourd’hui, contre 3% au départ, présentes au Mali dans le comité de surveillance des accords de paix.
« L’agenda pour les femmes, la paix et la sécurité ne se résume pas à répondre à des torts et des marginalisations historiques mais offre une opportunité d’agir différemment », a-t-elle déclaré. « Lorsque nous ouvrons la porte à l’inclusion et à la participation, nous avançons d’un pas de géant pour la prévention des conflits et le maintien de la paix ».
L’égalité des sexes
Le rapport note aussi des tendances peu encourageantes dans la répartition des fonds publics des Etats : les dépenses militaires ont atteint un niveau record de 2.100 milliards de dollars en 2021, et ce, au détriment des investissements dans la sécurité des populations humaines. Parallèlement, et alors qu’il est le plus nécessaire, le financement des organisations de femmes dans les pays touchés par des conflits est passé, entre 2019 et 2020, de 181 millions à 150 millions de dollars.
« Il est encourageant de constater que 103 pays ont maintenant adopté des plans d’action nationaux sur les femmes, et la paix et la sécurité alors qu’ils n’étaient que 37 il y a dix ans », a reconnu Sima Bahous en souhaitant la bienvenue aux 184 signataires du Pacte sur les femmes, la paix et la sécurité et l’action humanitaire.
Cependant, ces engagements ne peuvent tenir leur promesse que s’ils sont soutenus par un financement à la hauteur du défi. En 2021, il y a eu un déficit de 72% des fonds visant à prévenir et répondre à la violence sexiste dans les situations d’urgence humanitaire. La part de l’aide bilatérale à l’égalité des sexes dans les contextes fragiles et touchés par des conflits reste de 5%.
En Afghanistan, en 2022, 77 % des organisations de femmes de la société civile n’ont reçu aucun financement et ne fonctionnent plus. Au Myanmar, environ la moitié des organisations de femmes ont dû fermer leurs portes à la suite du coup d’Etat.
En dépit des preuves, avérées depuis des décennies, que l’égalité des sexes ouvre la voie à la paix durable et à la prévention des conflits, nous allons dans la mauvaise direction, a déploré Amina Mohammed. « Nous devons atteindre la parité pleine et entière, y compris par des quotas spéciaux afin d’accélérer l’inclusion des femmes, dans le processus électoral, les réformes du secteur de la sécurité, le désarmement, la démobilisation et les systèmes judiciaires. Car en ces temps de périls, de conflits et de crises, il nous faut appliquer des stratégies gagnantes pour la paix et la stabilité », a-t-elle déclaré.
Source:news.un.org