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La Corne de l’Afrique est une région ayant fait beaucoup de bruit dans les médias ces dernières années, que ce soit pour couvrir la guerre au Soudan, le désir de l’Éthiopie d’avoir un accès à la mer ou encore les troubles en Somalie. Cette couverture médiatique délaisse toutefois les questions des mutilations génitales féminines et de l’excision (MGF/E) ainsi que celle du droit des femmes, alors qu’il s’agit d’enjeux majeurs dans cette région.

Soulignons que la Corne de l’Afrique fait référence à la région d’Afrique de l’Est composée de Djibouti, de l’Érythrée, de l’Éthiopie et de la Somalie (1). D’autres États peuvent également être considérés comme appartenant à la région en raison notamment de la proximité géographique et du partage de certains enjeux. C’est le cas du Kenya, de l’Ouganda, du Soudan et du Soudan du Sud (2).

Un phénomène invisible, mais toujours très présent

L’expression mutilations génitales féminines fut créée en 1990 par le Comité interafricain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants. Ce terme est utilisé afin de désigner « toutes les interventions aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme et/ou toute autre mutilation des organes génitaux féminins pratiquée à des fins non thérapeutiques (3) ». Cette qualification comprend deux pratiques largement effectuées dans la Corne de l’Afrique; l’excision étant l’ablation partielle ou totale du clitoris, et l’infibulation, référant à l’ablation des petites lèvres et la couture des grandes lèvres (4).

La pratique des MGF/E est très présente dans la région. En effet, des données de 2013 nous indiquent que 98 % des femmes en Somalie, 93 % des femmes à Djibouti et 89 % des femmes en Érythrée en furent victimes (5).

Bien que les MGF/E soient considérées comme une violation des droits de l’Homme par les Nations unies et que de nombreuses mesures furent prises afin de les empêcher, la Corne de l’Afrique représente l’une des régions où ces mutilations sont les plus rapportées (6).

Cette hausse semble attribuable à la sécheresse qui frappe la région depuis 2020. Puisqu’elle engendra une grande famine, celle-ci poussa les parents à recourir davantage aux MGF/E afin de pouvoir marier leur fille plus tôt et avoir une bouche en moins à nourrir. Les Nations unies estiment que les filles de 12 ans sont les principales victimes des MGF/E et des mariages forcés. Ce contexte engendra de plus une augmentation moyenne de 119 % des mariages d’enfants en Éthiopie entre 2021 et 2022 (7).

Cette réalité est principalement influencée par le poids qu’exerce la loi coutumière dans la vie des communautés. Son application y est généralement discriminatoire envers les femmes puisqu’elle est fondée sur des normes patriarcales et ne reconnait pas l’égalité entre les sexes (8). Les MGF/E y sont de plus parfois décrites comme étant un moyen de « purifier » le corps des filles afin d’assurer leur pureté lors du mariage. Des raisons d’hygiène et de santé sont également défendues (9).

Des approches innovantes…

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) présenta en 2008 un document détaillant les bonnes pratiques à intégrer dans les projets visant l’élimination des mutilations génitales féminines. Elle établit que les actions doivent être multisectorielles, s’intégrer dans un processus de changements progressifs des comportements sociaux et être guidées par les communautés sans jugement ni mesures coercitives. Les approches adoptées doivent de plus impliquer un grand nombre de familles d’une même communauté, afin que cette communauté mette fin aux MGF/E de manière coordonnée et collective. Cela fait en sorte qu’aucune famille ni fille ne soit désavantagée par la décision. Si elle est bien appliquée, l’initiative pourrait grandement favoriser l’implantation de normes sociales dans lesquelles les femmes et les familles ne pratiquant plus ces mutilations ne seront plus perçues négativement (10).

Plusieurs projets et initiatives furent mis sur pied afin de décourager la pratique des MGF/E et promouvoir le droit des femmes dans la Corne de l’Afrique. Nous retrouvons parmi ceux-ci l’Initiative Saleema, lancée en février 2019, ainsi que l’Initiative stratégique pour les femmes de la Corne de l’Afrique (SIHA), qui débuta en 1995.

L’Initiative Saleema, également connue comme l’Initiative de l’Union africaine pour l’élimination des mutilations génitales féminines, s’est donnée comme objectif de mettre fin aux cas de MGF/E en Afrique d’ici 2030. Elle veut permettre à chaque fille africaine de grandir jusqu’à la maturité dans sa forme naturelle et d’origine. Pour y parvenir, cette initiative vise à accélérer la prise d’actions par les États membres, notamment concernant les mesures s’attaquant aux facteurs à l’origine des disparités et des inégalités entre les hommes et les femmes ainsi que celles visant à changer les normes sociales à l’origine des MGF/E (11). Cette approche est également appuyée par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), qui mit sur pied une campagne de sensibilisation dans plusieurs communautés au Soudan (12).

L’initiative SIHA est pour sa part conduite par une coalition d’activistes pour le droit des femmes. Elle œuvre à renforcer les organisations faisant la promotion du droit des femmes et luttant contre la domination et les violences commises contre les femmes dans la région. Plus concrètement, l’initiative SIHA documente les cas de violence basée sur le genre et facilite l’accès des survivantes à des services d’aide. Elle est de surcroît reconnue pour travailler sur une réforme juridique et politique visant à facilitant l’accès des femmes à la justice (13). En quelques mots, l’objectif principal de cette initiative est d’opérer un changement dans les normes sociales afin de mettre un terme au cadre répressif réprimant les femmes et les filles (14).

…mais pas toujours efficaces

Malgré l’ensemble des actions prises afin de lutter contre ces mutilations, une hausse de 30 millions de cas d’excision fut observée à l’échelle mondiale depuis 8 ans. De plus, la hausse des cas de MGF/E observée à la suite de la sécheresse de 2020 semble indiquer que ces initiatives ne sont pas en voie d’atteindre leurs objectifs (15). Deux raisons pourraient expliquer ces échecs. La première concerne le fait que les pays composant la Corne de l’Afrique sont instables, voire faillis, ce qui limite ou empêche l’application de politiques ou de régulations (16). La seconde se rapporte à la dominance qu’exerce toujours le droit traditionnel sur certaines communautés, puisqu’il renforce la nécessité de recourir aux MGF/E.

Ces mesures ont paradoxalement eu des impacts sur la pratique des MGF/E. En effet, il est rapporté que l’excision est pratiquée en secret et à un plus jeune âge dans les États où ces pratiques sont interdites, et ce afin de ne pas être détectée. Une médicalisation des MGF/E, soit le fait d’être pratiqué par un professionnel de la santé, est également en train de se produire, ce qui démontre une certaine institutionnalisation de la pratique dans certaines zones (17).

Nous pouvons donc comprendre que les mutilations génitales féminines représentent un enjeu de société complexe dans la Corne de l’Afrique et que ce phénomène ne risque pas de disparaitre de lui-même en raison des situations politiques et sociales de la région. Une lueur d’espoir persiste toutefois puisqu’un rapport de 2013 indique que 60 % des femmes de la région estiment qu’il faut y mettre un terme (18).

Source:https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3660