Les grossesses en milieu scolaire… on s’intéresse à ce phénomène qui touche des milliers de jeunes filles et qui compromet l’avenir de ces adolescentes.
Malgré les nombreux efforts des gouvernements et des ONG, le nombre de jeunes filles qui tombent enceintes pendant leur scolarité reste alarmant, en Afrique.
Pour beaucoup de ces filles, la grossesse marque la fin de leur scolarité et l’abandon de leurs rêves. Très souvent, elles sont contraintes d’abandonner l’école à cause des difficultés de la grossesse, l’incompréhension de la famille, l’exclusion, mais aussi les moqueries de leurs camarades. Pour en parler nous recevons ce matin Aicha Traoré, présidente de l’ONG Pro Kids en Côte d’Ivoire. Cette ONG offre une seconde chance aux adolescentes qui quittent prématurément le système scolaire.
Interview de la semaine Aicha Traoré
DW : Aïcha Traoré, votre ONG Pro Kids sensibilise contre les grossesses en milieu scolaire en Côte d’Ivoire. Comment cela s’organise?
Notre engagement contre les grossesses… Ici, en Côte d’Ivoire, nous parvenons à sensibiliser, dans les écoles bien ciblées chaque année, au moins 3000 jeunes.
C’est vraiment ça notre objectif, principalement des jeunes filles, mais aussi des jeunes garçons et des parents.
Donc on a deux différents projets. On va avoir le « Girl chat » qui va sensibiliser principalement les adolescents et jeunes des lycées et collèges de la Côte d’Ivoire, et on aura le projet « Parents engagés » qui va aller vers le parent et l’inviter aussi à la discussion autour de la sexualité, pour nous assurer que lorsqu’on veut sensibiliser dans les écoles, les parents puissent prendre le relais et ensemble, espérer que il y ait moins de cas de grossesses enregistrées au cours de l’année scolaire.
DW : Les auteurs de ces grossesses, le plus souvent, ce sont les professeurs et encadreurs. Est-ce qu’ils sont également sensibilisés en Côte d’Ivoire?
Il faut savoir qu’il y a beaucoup d’initiatives de l’Etat qui sensibilisent les enseignants.
Et il y a même un texte qui condamne l’enseignant à être démis de ses fonctions et à faire face à des poursuites judiciaires lorsque il y a des cas de grossesse.
Toutefois, il faut savoir que le corps enseignant est sensibilisé chaque année à pouvoir rester dans le rôle d’encadreur sans devenir ni un compagnon ni un bourreau.
Parce qu’il faut savoir qu’il y a aussi des abus pour la jeune fille qui est à l’école.
Mais de plus en plus, c’est beaucoup plus des jeunes, des jeunes qui font des petits métiers et des élèves, qu’on enregistre comme auteurs de ces grossesses.
Et surtout, il faut parler de la pauvreté, qui est l’une des causes les plus profondes de ce mal-là et de l’absence parfois, sur certains territoires, d’internats et de centres de formation de proximité qui amènent les parents à chercher des tuteurs.
Tous ces fléaux, l’un dans l’autre, sont facteurs déclencheurs de grossesses en cours de scolarité.
DW : Quand il y a une grossesse en cours de scolarité, la jeune fille est souvent contrainte d’abandonner l’école à cause des difficultés liées à la grossesse, mais à cause aussi de l’exclusion…
Exactement. En Côte d’Ivoire, aucun texte ne demande à ce qu’on exclue une jeune fille enceinte.
Au contraire, l’État fait des efforts pour l’inclusion des mères adolescentes. Et nous aussi, on porte des plaidoyers auprès des ministères pour déconstruire les perceptions de la communauté sur les grossesses précoces et sur les adolescentes mères.
Donc la jeune fille continue sa scolarité depuis 2019. On a l’arrêté portant sur le report de scolarité qui permet le retour à l’école des mères adolescentes après l’accouchement, dans un cadre de douze mois.
C’est à dire que si elle a contracté une grossesse au cours de l’année scolaire, elle va accoucher, puis elle revient [à l’école]. C’est comme si l’année où elle était enceinte était une année neutre.
Ce test-là, on continue de plaider pour que la durée de retour soit revue à deux ans. Parce que parfois, pour des raisons de santé, il y a des filles qui n’arrivent pas à retourner [si rapidement].
Par conséquent, on va retrouver des jeunes filles qui, parce qu’elles, elles sont restées à la maison plus d’une année, ne peuvent plus retourner à l’école. Donc, on continue de plaider.
Toutefois, on remarque la stigmatisation de la société, des camarades de classe, des professeurs, et ça, c’est des effets humains. Donc, nous, on continue de plaider et de sensibiliser tout le monde à ce que ce ne soit pas des grossesses qui soient des sources de dénigrements ou d’abandon scolaire, mais ce soit beaucoup plus un système, un concret, un écosystème où lorsque la jeune fille, malheureusement, contracte une grossesse en cours de scolarité, elle a quand même de l’amour de partout.
Parce que quand une adolescente contracte une grossesse, elle est elle-même déboussolée. [Souvent], elle n’est pas consciente jusqu’à ce qu’elle voie que son ventre commence à pousser.
C’est une enfant qu’il faudra toujours accompagner et c’est ça le message que nous passons partout pour nous assurer qu’elles ne soient pas victimes de stigmatisation lorsqu’elles contractent des grossesse.
DW : Et si, à cause des moqueries, la jeune fille décide quand même de ne plus retourner à l’école, comment est-ce que vous l’accompagnez?
Il faut savoir que beaucoup de ces adolescentes-mères subissent aussi des violences sexuelles qui parfois sont la source profonde de leurs grossesses. Donc on va les reconstruire pendant trois mois.
On appelle ce projet « Je parraine une fille ». Le bonheur du parrainage, c’est qu’on n’impose rien à la jeune fille. On l’accompagne sur trois mois et on lui demande son choix de vie. Si elle a envie de devenir une auxiliaire pharmacie, on va l’accompagner. Si elle a envie de retourner à l’école, elle choisit elle-même son école et nous, on fait l’accompagnement.
Attention, il faut savoir que même quand on les insère à l’école, notre accompagnement continue.
On continue à les rencontrer une fois par semaine pour voir leur évolution, pour réajuster les insertions si nécessaire et toujours inclure les parents dans tout le processus.
Donc chaque adolescente que l’on accompagne a son parent dans notre groupe de parents accompagnés, où on s’assure que le parent comprend la profondeur du travail qui est fait et le besoin pour lui de continuer le travail à la maison.
Donc voilà un peu comment on travaille pour nous assurer que lorsqu’elles repartent à l’école, elles y restent non pas avec la peur, mais pour faire briller leurs rêves, parce qu’elles font partie entièrement de cette Afrique-là.
Les erreurs de parcours ne devraient pas freiner une femme. Si ça ne freine pas les hommes, ça ne devrait pas freiner une femme, encore moins une adolescente pour la réalisation de ses rêves à elle.