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En Afrique, les femmes se fraient un chemin en politique – WILDAF-AO

WILDAF-AO

2024 est une année politiquement chargée pour le monde entier et particulièrement pour le continent africain. Sur les dix scrutins majeurs prévus cette année, huit sont encore à venir. En cette année de renouvellement politique, la place des femmes au pouvoir reste plus que jamais un sujet d’actualité.

La politique en Afrique est avant tout une affaire d’hommes – comme partout dans le monde. Selon le dernier rapport de l’Union interparlementaire, l’organisation mondiale des Parlements des États souverains, au 1er janvier 2024, les femmes représentaient seulement 26,9% des parlementaires en place dans le monde. En Afrique subsaharienne, elles sont 27,3%, un chiffre qui n’a rien à envier aux moyennes occidentales. 

Le constat reste cependant inquiétant. Sur 345 chefs d’Etat et de gouvernement dans le monde, seulement 20 sont des femmes, et une seule se trouve sur le continent africain : Sahle-Work Zewde, présidente de l’Ethiopie. 

À ce rythme, estime l’ONU Femmes, “l’égalité des sexes dans les plus hautes sphères du pouvoir ne sera pas atteinte avant 130 ans”. Le défi de la parité et de l’égalité des genres, notamment en politique, reste entier, et ce partout dans le monde. 

Une longue histoire de mobilisation et d’émancipation 

Sur le continent africain, “c’est la colonisation qui a signé l’exclusion des femmes des institutions de prise de décision de politique” explique Anaïs Angelo, historienne et chercheuse au département d’études africaines de l’université de Vienne, en Autriche. À cette époque, les femmes sont marginalisées et exclues des institutions d’autorité publique “mais, évidemment, elles ne se contentent pas de cette exclusion”, poursuit l’historienne. “Elles vont la combattre et leur combat va s’intensifier avec l’intensification des luttes anticoloniales, dans lesquelles elles vont jouer un rôle extrêmement important”.  

À travers des réseaux d’associations de femmes très organisés, “souvent mieux que les partis nationalistes”, la mobilisation se met peu à peu en place. Les femmes militent d’une part pour la décolonisation et d’autre part pour les droits des femmes, et notamment le droit de vote dès les années 1940, “au même moment où les femmes françaises votent pour la première fois” rappelle Anaïs Angelo. 

Selon le Pew Research Center, un centre indépendant de recherche et d’analyse de données aux Etats-Unis, “80 % des pays d’Afrique ont accordé le suffrage universel à leurs citoyens entre 1950 et 1975 – une période de décolonisation européenne de grande ampleur pour le continent.” En effet, de nombreux pays adoptent le suffrage universel au moment où ils acquièrent leur indépendance et mettent en place de nouveaux gouvernements et de nouvelles constitutions.  

Mais si les femmes africaines obtiennent le droit de vote et sont intégrées petit à petit dans ces nouvelles institutions post-coloniales, elles restent minoritaires. “Au moment des indépendances, l’espoir d’un changement va être assez rapidement déçu, parce que le pouvoir des nouveaux régimes indépendants sur tout le continent africain reste un pouvoir essentiellement masculin et les femmes en sont quasiment absentes” explique la Anaïs Angelo.

Bien que les hommes dominent toujours le paysage politique, les années 1960 et 1970 marquent un tournant important et signent l’entrée des premières femmes au Parlement. Ainsi rappellent les archives de l’Union inter-parlementaire (UIP), l’organisation mondiale des parlements nationaux, lorsqu’une quinzaine de pays parmi lesquels le Cameroun, le Congo, le Gabon, l’Algérie, le Togo ou encore le Tchad “ont accédé à la souveraineté, ils se sont dotés d’une institution représentative dans laquelle un certain nombre de femmes ont été intégrées dès le départ”. 

“C’est une étape importante” confirme Anaïs Angelo, “car dans de nombreux pays, elle conditionne la possibilité de faire carrière en politique : pour être ministre, il faut être d’abord élu parlementaire”. Les transitions post-coloniales sont aussi un moment de mise en place de politiques de quotas et de création de comités qui vont permettre d’assurer la présence des femmes dans les différentes institutions. 

« Les femmes sont mises à part et sont en quelque sorte catégorisées comme femmes et pas seulement comme femmes politiques, au même titre que les hommes ». Docteure Anaïs Angelo, historienne et chercheuse au département d’études africaines de l’université de Vienne

C’est le cas notamment en Guinée, où le président Ahmed Sékou Touré (1958-1984) impose des quotas particulièrement stricts qui permettent d’avoir des résultats concrets. Ainsi en janvier 1968, dans son discours d’ouverture du 1er congrès des femmes de Guinée, Sékou Touré se félicite que “la participation féminine est représentée en tout par 27 des sièges à l’Assemblée nationale et 16 des sièges des 29 assemblées régionales”. 

Un chiffre considérable pour l’époque, mais qui doit être relativisé, nuance Anaïs Angelo : “L’entrée massive de femmes dans ces espaces ne change pas la donne, ne change pas les rapports de genre au pouvoir et ne résout pas les problèmes que les femmes rencontrent pour être incluses en politique”.

La politique et ses institutions, un environnement hostile aux femmes

En effet, dès le départ, les carrières politiques des premières députées sont teintées de sexisme, car si les femmes entrent au parlement, c’est souvent pour occuper “des sièges réservés aux femmes”, explique la docteure Angelo. “Elles sont mises à part et sont en quelque sorte catégorisées comme femmes et pas seulement comme femmes politiques, au même titre que les hommes”. 

Le régime de Sekou Touré n’est pas une démocratie libérale. Selon Amnesty International 50 000 personnes seront assassinés sous sa présidence.

Cette tendance, tenace, n’est cependant pas propre à l’Afrique : l’ONU Femmes et l’UIP rappellent que “les cinq portefeuilles les plus souvent détenus par des femmes ministres dans le monde sont les suivants : femmes et égalité des sexes, affaires familiales et de l’enfance, inclusion sociale et développement, protection sociale et sécurité sociale, et affaires autochtones et minoritaires”. 

Un constat appuyé par Zeina Hilal, responsable du Programme du partenariat entre hommes et femmes à UIP : “Dans nos études nous récoltons des données sur certaines commissions parlementaires : défense, affaires étrangères, égalité des sexes, finance, droits humains… On le voit partout dans le monde, il y a beaucoup plus de femmes qui président des commissions dites proches des ‘affaires sociales’ que de femmes qui président des commissions des finances ou des relations internationales”. 

Il en va de même pour les ministères régaliens et les postes de cheffe de gouvernement et, bien sûr, de présidente, auxquels seule une poignée de femmes ont eu accès depuis la décolonisation, même si des progrès existent. 

Ainsi, le Bénin est le pays qui a le plus progressé dans le domaine de la parité parlementaire, notamment grâce au nouveau code électoral adopté en 2019 qui a mis en place des sièges réservés pour les femmes. 

La proportion de femmes parlementaires dans le pays atteint désormais 25,7 %, soit une augmentation de 7,2 points par rapport au scrutin précédent. 

Actuellement, sur le continent africain, un parlementaire sur quatre est une femme. Trois femmes occupent des fonctions de cheffe de gouvernement : Victoire Tomegah-Dogbé au Togo, Saara Kuugongelwa-Amadhila en Namibie et Judith Tuluka Suminwa, nommée début avril 2024 en RDC. Trois femmes ont été élues présidentes et huit occupent ou ont occupé un poste de cheffe d’Etat. Mais il y a aussi des exemples de recul : au Sénégal, le nouveau gouvernement formé par le Premier ministre Ousmane Sonko ne compte que quatre femmes, contre sept ou huit dans les précédents gouvernements. Une femme, Yassine Fall, occupe le poste de ministre des Affaires étrangères.

Le 14 mai 2010, sous la présidence de Abdoulaye Wade, le parlement sénégalais vote une loir sur la parité. Grâce à cette loi, le Sénégal a vu la proportion des femmes élues doubler. Aux élections législatives de 2012, 64 femmes ont été ainsi élues sur un parlement qui compte 150 députés.

Les femmes africaines qui tentent de se frayer un chemin en politique sont, aujourd’hui encore, confrontées à de nombreux obstacles. Selon un rapport de l’UIP et de  l’Union parlementaire africaine (UPA) publié en 2021, les femmes politiques africaines, et notamment dans les parlements, sont particulièrement exposées au sexisme et à la violence. 

“Non seulement ces violences sont présentes à une échelle beaucoup plus grave qu’on ne le pensait précédemment, mais elles sont multiples : psychologiques, sexistes, sexuelles, mais aussi économiques, détaille Zeina Hilal. Par exemple, on va donner plus d’opportunités à des hommes parlementaires de réaliser des missions à l’étranger, mais parfois c’est même simplement avoir un bureau au Parlement ou une voiture”.

« C’est dangereux de militer. Docteure Anaïs Angelo, historienne et chercheuse au département d’études africaines de l’université de Vienne »

“C’est dangereux de militer, résume Anaïs Angelo. Il faut participer à des rallyes, se déplacer, faire du porte-à-porte, aller parfois dans des coins reculés… C’est parfois difficile en étant femme d’avoir cette mobilité, cette indépendance. D’autre part, dans des sociétés où les femmes sont encore largement responsables de l’organisation de la famille, il faut aussi réussir à dégager du temps pour faire de la politique !” 

Un enjeu global qui ne touche pas que les sociétés africaines, insiste la chercheuse, et qui implique que de nombreuses femmes politiques font partie d’une élite : “Pour avoir du temps à consacrer à la politique, il faut bien que ce soit quelqu’un d’autre qui s’occupe de la famille – il faut avoir les moyens de financer ça”.

Ces violences multiformes “touchent les femmes de manière intersectionnelle” rappelle Mme Hilal. “Les femmes les plus visées par ces violences sexistes sont celles qui appartiennent à des minorités : des minorités politiques par exemple, mais aussi les femmes qui souffrent de handicap, les veuves, les jeunes… Notre étude a montré que cette tendance était particulièrement marquée sur le continent africain”. 

Un autre point crucial soulevé par l’étude est l’origine de ces violences qui, selon les femmes interrogées, sont majoritairement perpétrées par des parlementaires de sexe masculin, notamment ceux des partis rivaux – et ont majoritairement lieu au sein de ces institutions. “On promeut les femmes en politique, on souhaite qu’elles entrent au Parlement, mais il faut absolument qu’on s’assure que l’environnement dans lequel elles entrent n’est pas un environnement destructeur pour elles”, insiste Zeina Hilal.

Les femmes africaines tracent peu à peu leur chemin

Sans un changement en profondeur, les femmes, notamment les plus jeunes, risquent d’être découragées d’entamer une carrière en politique avertit l’UIP. “C’est pour éviter cela que nous avons décidé d’appeler à certaines solutions et de publier des lignes directrices à suivre par les parlements : adopter des politiques anti-harcèlement, changer la culture à l’intérieur des institutions, appliquer une tolérance zéro avec un système d’investigation juste qui protège les victimes en premier lieu et un système de sanction efficace”. 

En dépit des obstacles qui se dressaient sur leur chemin, les femmes africaines ont durement acquis leur place sur la scène politique, notamment grâce à leur capacité à s’organiser et à faire passer au premier plan les principes de solidarité et de coopération. Zeina Hilal cite par exemple les nombreux caucus de femmes mis en place dans des parlements à travers le continent. 

« Quand on est 20%, peu importe la structure, on n’a pas beaucoup de pouvoir. Mais si on arrive à se mettre d’accord pour parler d’une seule voix… là, la voix devient beaucoup plus forte et l’influence au sein du Parlement et de ses décisions aussi ». Zeina Hilal, responsable du Programme du partenariat entre hommes et femmes à UIP 

Ces groupes établis à l’intérieur du Parlement permettent “à toutes les femmes, de n’importe quel parti politique, de se joindre à un groupe dont l’intérêt commun est la promotion des droits des femmes, de leur participation et de leur émancipation”. 

Selon Mme Hilal, ces groupes peuvent changer la donne : “Quand on est vingt pourcent, peu importe la structure, on n’a pas beaucoup de pouvoir. Mais si on arrive à se mettre d’accord pour parler d’une seule voix, notamment sur des thématiques qui concernent les droits des femmes, là, la voix devient beaucoup plus forte et l’influence au sein du Parlement et de ses décisions aussi”.

Ce principe de coopération féminine se retrouve aussi bien dans des institutions politiques officielles que des structures militantes, comme celles qui ont porté les indépendances et des mouvements de solidarité féminine. “On a beaucoup appris de l’Afrique et des mouvements féminins sur ce sujet”, souligne Zeina Hilal. “La solidarité avant tout, la possibilité de mettre de côté les appartenances politiques pour faire avancer la cause des femmes, montrer que parce qu’on est femme, parce qu’on a été élue sur cette base là, entre autres, on peut porter un changement pour les autres femmes”.  

Mais il est plus que jamais nécessaire de redoubler ces efforts. Même si, selon Zeina Hilal, “on ne peut plus aujourd’hui mener une campagne électorale, que ce soit en Afrique ou ailleurs, sans que les questions de droits des femmes, d’égalité et d’émancipation ne prennent un peu le devant de la scène”, les progrès réalisés depuis les indépendances restent fragiles. 

En 2022 et 2023, la parité en politique dans le monde n’a progressé que de 0,4% – un rythme extrêmement faible, et en baisse par rapport aux deux années précédentes, où il était de 0,6%. 

Source:/information.tv5monde.com/