L’ONU a dressé mardi 23 avril 2024, un tableau alarmant des violences sexuelles liées aux conflits, précisant avoir vérifié 3.688 cas de viols et autres violences sexuelles commis en temps de guerre en 2023, soit une « augmentation spectaculaire » de 50% par rapport à l’année précédente.
Présentant son rapport annuel devant le Conseil de sécurité, Pramila Patten, Représentante spéciale du Secrétaire général sur la violence sexuelle dans les conflits, a noté que les armes continuent d’affluer entre les mains des auteurs de ces violences tandis que la plupart des victimes restent les mains vides en matière de réparations.
« La tâche essentielle et existentielle à laquelle nous sommes confrontés est de faire taire les armes et d’amplifier la voix des femmes en tant que groupe essentiel pour la paix », a-t-elle déclaré devant les membres du Conseil.
Un crime sous-estimé
Le rapport couvre les incidents, les schémas et les tendances dans 21 situations préoccupantes, notamment Israël et Gaza, le Soudan, l’Ukraine, Haïti, le Myanmar et la République démocratique du Congo (RDC).
Pramila Patten a souligné que l’augmentation des cas enregistrés était particulièrement alarmante dans un contexte mondial où l’accès humanitaire reste sévèrement restreint et contraint.
La plupart des cas, soit 95%, concernaient des femmes et des filles. Dans 32% des incidents, des enfants, en majorité des filles, ont été victimes, tandis que 21 cas ciblaient des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer et intersexuées.
Même si le rapport rend compte de la gravité et de la brutalité de ces incidents, elle a souligné qu’il ne reflète pas l’ampleur mondiale ni la prévalence de ce qui constitue un crime chroniquement sous-estimé et historiquement caché.
« Nous savons que pour chaque survivante qui se manifeste, de nombreuses autres sont réduites au silence par les pressions sociales, la stigmatisation, l’insécurité, le manque de services et les perspectives limitées de justice », a dit la haute responsable onusienne.
Conflit à Gaza
Pour la première fois, le rapport contient une section dédiée à Israël et au territoire palestinien occupé.
À la suite des attaques menées par le Hamas contre Israël le 7 octobre, le gouvernement a invité Mme Patten à se rendre dans le pays. Elle et son équipe ont confirmé qu’il existe des motifs raisonnables de croire que des violences sexuelles liées au conflit ont eu lieu dans au moins trois endroits et que des violences sexuelles ont été commises contre des personnes retenues en otages, et qu’elles pourraient perdurer.
L’équipe s’est également rendue en Cisjordanie occupée où, selon des informations vérifiées par l’ONU, les arrestations et la détention de Palestiniens, femmes et hommes, par les forces de sécurité israéliennes à la suite des attaques d’octobre se sont souvent accompagnées de mauvais traitements, notamment de violences sexuelles. Des allégations similaires ont émergé de Gaza, a-t-elle ajouté.
« Ces conclusions ne justifient ni ne légitiment en aucun cas de nouvelles hostilités, et je continue de me faire l’écho des appels du Secrétaire général en faveur d’un cessez-le-feu humanitaire pour mettre fin aux souffrances indescriptibles des civils palestiniens et provoquer la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages », a déclaré Mme Patten.
Accès et impunité
Le rapport montre comment la violence sexuelle restreint l’accès des femmes aux moyens de subsistance et l’accès des filles à l’éducation dans un contexte de déplacements record.
« Par exemple, dans l’est de la RDC, le climat d’insécurité physique et alimentaire a poussé de nombreuses femmes et filles déplacées à se prostituer par pur désespoir économique », a-t-elle dit.
Parallèlement, « les violences sexuelles perpétrées en toute impunité restent rentables dans l’économie politique de la guerre », a-t-elle noté. Par exemple, les groupes armés en Haïti continuent de générer des revenus et d’utiliser la menace de violences sexuelles pour extorquer des rançons encore plus élevées.
Des survivantes réduites au silence
Le rapport répertorie 58 parties soupçonnées de manière crédible d’avoir commis ou d’être responsables de violences sexuelles, principalement des acteurs non étatiques. Plus de 70% sont des « auteurs persistants », c’est-à-dire qu’ils figurent sur la liste depuis cinq ans ou plus.
Une autre tendance est le « niveau sans précédent de violence meurtrière » visant à faire taire les survivantes d’agressions sexuelles, notamment des informations en provenance de RDC et du Myanmar faisant état de violeurs tuant ensuite leurs victimes. Des acteurs armés ont également menacé des professionnels de santé au Soudan, tandis que des défenseurs des droits humains au Soudan du Sud, en RDC et ailleurs ont fait l’objet de représailles.
« À travers le temps et l’espace, nous constatons que la disponibilité des armes facilite directement ces attaques », a déclaré Mme Patten.
L’espoir à l’horizon
Soulignant que « nous ne pouvons pas lutter contre la violence sexuelle sans modifier la dynamique du pouvoir », elle a appelé à une plus grande participation des femmes, à une réglementation des armes et aux embargos, à un soutien financier aux défenseurs des droits humains et à un changement sur le terrain.
« Les femmes des régions du monde déchirées par la guerre ont besoin de voir de l’espoir en matière politique », a-t-elle déclaré. « Nos paroles, nos actes et nos décisions dans cette salle et au-delà doivent leur donner des raisons d’espérer ».
Hausse des dépenses militaires
De son côté, l’Ambassadrice de bonne volonté d’ONU Femmes, Danai Gurira, s’est déclarée choquée de constater à quel point les crimes visant les enfants et les femmes se sont multipliés à travers le monde.
Elle a blâmé neuf années consécutives de hausse des dépenses militaires, qui atteignent désormais un niveau record de plus de 2.400 milliards de dollars.
Les perpétrateurs de violences sexuelles dans les théâtres de conflit sont tous armés jusqu’aux dents, violant de manière flagrante les embargos applicables, a dénoncé Mme Gurira. « Nous entendons parler de perturbations dans la chaîne d’approvisionnement mondiale. Mais les armes continuent pourtant d’affluer », a-t-elle observé.
Selon elle, malgré tous les efforts déployés depuis 20 ans, la vérité honteuse, c’est que presque tous les auteurs de violences ont encore le sentiment de pouvoir s’en tirer sans problème, et que l’écrasante majorité des survivantes ne demandent même jamais justice, car la justice est rarement là pour elles.
« Jusqu’à ce que nous disions clairement que le viol a des conséquences – des conséquences réelles et désastreuses, nous ne parviendrons jamais à inverser la tendance », a assuré Mme Gurira.
Source:https://news.un.org/fr/