Malgré leur sous-représentation institutionnelle, les femmes maliennes ne veulent pas rester en marge de la transition en cours.
Le 13 mars 2023, les médias maliens se sont largement fait l’écho de l’arrestation de l’influenceuse Rokia Doumbia. Cette figure, connue des Maliens pour son combat contre la vie chère, avait publié sur son compte Tik-Tok une vidéo dénonçant l’inflation au Mali et critiquant au passage le bilan de la transition.
Au-delà des réactions suscitées par ses prises de position, l’engagement de cette activiste rejoint une tendance grandissante parmi les femmes maliennes. En effet, celles-ci n’entendent pas demeurer de simples spectatrices des mutations politiques à l’œuvre dans leur pays.
Quelques jours auparavant, plusieurs d’entre elles, célébrant la Journée internationale des droits des femmes, avaient défilé dans le stade Modibo Kéita de Bamako. Elles avaient rappelé aux autorités les défis auxquels elles sont confrontées, qui limitent leur participation à des processus politiques essentiels pour la nation.
Les Maliennes avaient pourtant réussi à tripler leur nombre à l’Assemblée nationale lors des dernières élections législatives de 2020. Sur les 147 députés, 42 étaient des femmes, contre 14 à l’issue des législatives de 2013. Cette augmentation significative est le fruit, entre autres, de la loi 052 adoptée en décembre 2015 qui institue des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives et fixe un quota de 30 % minimum de personnes de chaque sexe dans toutes ces fonctions.
Ce pourcentage est pourtant peu respecté dans les instances officielles de la transition en cours. Les femmes ne représentent que 6 membres du gouvernement sur 28, soit 21,42 %, et 42 membres du Conseil national de transition (CNT) sur 147, soit 28,57 %. L’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE), installée le 10 janvier 2023, ne compte que 4 femmes sur ses 15 membres, soit 26,66 %. Le 27 janvier 2023, à la mise en place de la Commission de finalisation de l’avant-projet de nouvelle Constitution, elles n’étaient que 11 sur les 69 personnes désignées, soit 15,94 %.
Au sein de l’administration générale, les femmes constituaient en 2021 15,4 % seulement des directeurs et directrices de service central et 11,1 % des ambassadeurs et ambassadrices.
En dépit de cette sous-représentation, les Maliennes sont déterminées à jouer un rôle dans le processus de refondation du Mali Kura (« Mali nouveau » en bambara) voulu par les autorités de transition. La volonté de ne pas rester en marge a incité certaines d’entre elles, philanthropes ou activistes, à occuper le terrain social et politique.
Moins visibles pendant la contestation qui a abouti au renversement du régime d’Ibrahim Boubacar Kéita en août 2020, certaines de ces femmes, par conviction ou par calcul, font preuve à présent de plus d’engagement en participant régulièrement à toutes les activités et manifestations de soutien aux autorités de transition.
Quelques-unes s’investissent dans des œuvres caritatives menées sous le haut patronage des dirigeants de la transition et promeuvent la paix et la cohésion sociale. D’autres, plus discrètes, entendent augmenter la représentation institutionnelle des femmes pour influer sur les processus décisionnels en cours. Elles fondent leur espoir sur la décision des autorités de transition d’inscrire le genre parmi les cinq axes stratégiques du document de refondation de l’État, en intégrant notamment dans la loi électorale une disposition qui expose au rejet toute liste candidate ne respectant pas les quotas de genre.
En outre, de grandes associations féminines mettent en place des initiatives visant à impacter les processus politiques en cours. L’une des plus en vue est celle qui réunit le Collectif des femmes du Mali (COFEM), le Réseau des femmes africaines ministres et parlementaires du Mali (REFAMP) et la Coordination des associations et ONG féminines du Mali (CAFO) autour du projet « Arbres à Palabres : quand les femmes du Mali prennent la parole pour une participation des Maliennes à la vie politique, aux réformes et au processus électoral, gage de stabilité et de sortie durable de crise ».
Ces organisations féminines ont réussi, après des négociations avec les légitimités traditionnelles et avec l’aide des autorités administratives locales, à ouvrir des espaces de parole dédiés aux femmes dans les régions de Gao, Tombouctou, Mopti, Ségou et Bamako. Elles ont mené dans ce cadre, avec le soutien du gouvernement, plusieurs activités telles que des sessions de sensibilisation à la nouvelle loi électorale (n° 2022-019) et à celle portant sur la promotion du genre (n° 2015-052).
Ces activités ont permis de recueillir les attentes des femmes sur la transition actuelle et le processus électoral à venir. Sur cette base, différentes femmes issues des milieux associatifs, universitaires et administratifs ont orienté les recommandations de la feuille de route adoptée lors du séminaire sur le genre organisé du 28 février au 4 mars 2023 par les ministères de l’Administration territoriale et de la Promotion de la femme. Ce document se veut un outil stratégique pour assurer la mise en œuvre effective d’actions urgentes et prioritaires visant l’intégration transversale du genre dans le processus électoral et les réformes politiques et administratives.
À quelques mois du début annoncé du cycle électoral, les femmes, dont le poids démographique de 50,4 % constitue un vivier électoral majeur, veulent accroître leur représentation en s’appuyant sur l’article 78 de la récente loi électorale, qui exige l’équilibre du genre sur les listes de candidatures.
La phase actuelle de transition voit les partis politiques se réorganiser dans la perspective des élections à venir. Dans ce contexte, plusieurs grandes figures féminines rencontrées par l’ISS entendent pousser ces derniers à intégrer au moins 50 % de candidatures féminines sur leurs listes et à positionner plusieurs femmes en tête de liste. Pour y parvenir, elles comptent négocier avec les partis et s’allier avec les plus offrants sur la question des candidatures féminines.
Pour autant, les différentes opportunités que leur offre la transition restent fragiles. Les défis sont nombreux. Ils sont d’ordre structurel, dans une société malienne où les croyances religieuses et culturelles légitiment l’hégémonie masculine dans la sphère publique et privée. Ils sont aussi de nature économique et éducationnelle, plusieurs facteurs limitant les possibilités de développement des compétences des femmes et leur aspiration à assumer de hautes responsabilités.
Les autorités de transition doivent donc faire preuve d’une volonté politique forte pour consolider durablement le besoin de participation des Maliennes. Cela passe par une application stricte des prescriptions de la loi 052 et de l’article 78 de la loi électorale.
Pour matérialiser cette volonté, les autorités pourraient poser un premier jalon en rehaussant à 30 % au moins, conformément à la loi, la représentation institutionnelle et administrative des femmes dans les organes de transition. Cependant, l’objectif final doit être leur participation substantielle, accompagnée de changements profonds dans le fonctionnement politique du pays et dans les droits des femmes, pendant et après la transition. Cela permettrait d’éviter le risque que cet engagement pour les droits des femmes ne demeure qu’un slogan.
Fatoumata Maïga, chargée de recherche, Hassane Koné et Fahiraman Rodrigue Koné, chercheurs principaux, Programme Sahel, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad
Image : © Afrique, Caraibe et Europe Conseil (ACE-Conseil)
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