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Pire crise de déplacement au monde. Seule nation en proie à la famine. Plus grande crise humanitaire de la planète. À la veille du deuxième anniversaire de la guerre civile au Soudan, le pays cumule de bien tristes records dans l’indifférence de la communauté internationale.

Depuis la 15 avril 2023, le Soudan est le théâtre d’un conflit dévastateur entre l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane, qui s’est emparé du pouvoir en 2021 lors d’un putsch, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), fidèles à son ancien adjoint, Mohamed Hamdan Daglo. 

Alors que le pays est sur le points de passer le cap des deux ans de conflit, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, exhorte les deux factions rivales à « mettre fin aux combats sans délai » et à engager un véritable processus politique « pour remettre le Soudan sur la voie de la paix et de la stabilité ». 

Le chef de l’ONU demande à la communauté internationale de se mobiliser pour mettre un terme à ce conflit « atroce ».

De son côté, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, dénonce une « attaque généralisée contre les droits humains, dans une indifférence mondiale coupable ». 

Des bombardements aveugles dans des zones habitées aux exécutions sommaires de civils, en passant par l’utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre, les violations du droit international humanitaire perpétrées par les deux camps se multiplient.

Une femme prépare à manger dans un camp pour personnes déplacées au Soudan.
United Nations
Une femme prépare à manger dans un camp pour personnes déplacées au Soudan.

Un peuple en fuite, la faim en embuscade

Derrière les lignes de front, la population paie en effet le prix fort. Filippo Grandi, le Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés, lance l’alerte : « Un tiers de la population soudanaise est déplacée », constate-t-il, soit plus de 12 millions de personnes, dont près de 4 millions ont fui dans les pays voisins. « Les conséquences de ce conflit absurde et cruel dépassent largement les frontières du Soudan ». 

Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) dresse lui aussi un tableau sans appel. « Des millions de Soudanais sont en détresse, les civils et les humanitaires sont tués en toute impunité, et les violences sexuelles se multiplient », rapporte Jens Laerke, porte-parole de l’OCHA. Il appelle à l’arrêt immédiat des attaques contre les civils, à la poursuite des responsables et à un accès humanitaire sécurisé, condition essentielle au soutien des ONG locales.

Sur le terrain, la crise alimentaire atteint des proportions dramatiques. « Le Soudan est aujourd’hui, à tous égards, la plus grave crise humanitaire au monde », alerte Sean Hughes, coordinateur d’urgence du Programme alimentaire mondial (PAM). Environ 25 cinq millions de personnes – soit la moitié de la population – souffrent de la faim. « Des dizaines de milliers de personnes mourront durant cette troisième année de guerre si nous ne pouvons pas les atteindre », prévient-il.

Des personnes déplacées reçoivent de la nourriture à Kassala, au Soudan.
© UNOCHA/Giles Clarke
Des personnes déplacées reçoivent de la nourriture à Kassala, au Soudan.

Des enfants sacrifiés, des femmes abandonnées

L’Unicef tire lui aussi la sonnette d’alarme pour les enfants soudanais, sous la menace constante de la mort. À El-Fasher, 825.000 d’entre eux vivent sous les bombes, sans accès aux services de base. « Ici, la mort guette à chaque instant », témoigne Eva Hinds, responsable de la communication de l’UNICEF à Port-Soudan. « Les enfants risquent leur vie à cause des combats, mais aussi parce que les services vitaux dont ils dépendent s’effondrent ».

Le conflit frappe également de plein fouet les femmes. Argentina Mataville Pecchin, représentante par intérim du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), parle d’une situation « déchirante ». Parmi les déplacés, 2,7 millions sont des femmes et filles en âge de procréer, dont 300.000 d’entre elles sont enceintes. 

« Certaines accouchent sur le bord de la route, en fuyant les bombardements », explique-t-elle. 

Privées de soins, les mères et les nouveau-nés affrontent la faim, les maladies et l’abandon. Le FNUAP estime que 6,7 millions de personnes sont menacées par des violences basées sur le genre.

Eva Hinds (au centre) dans un espace pour enfants soutenu par l'Unicef à Omdurman, dans l'État de Khartoum, au Soudan.
© UNICEF
Eva Hinds (au centre) dans un espace pour enfants soutenu par l’Unicef à Omdurman, dans l’État de Khartoum, au Soudan.

Disparitions massives et munitions mortelles

À mesure que la guerre s’enlise, l’opacité grandit autour des disparitions forcées. L’expert indépendant de l’ONU pour le pays, Radhouane Nouicer, s’alarme : « Cette guerre incompréhensible et inutile sème des ravages indicibles ». Les ONG parlent de 50.000 disparus ; certains cas ont pu être documentés, incluant femmes et enfants. Le spectre des agressions sexuelles, des expulsions forcées et des recrutements d’enfants-soldats hante les récits recueillis.

Autre menace persistante : celle des munitions non explosées, omniprésentes dans les zones urbaines et rurales. Siddiq Rashid, à la tête du programme de lutte antimines (UNMAS) au Soudan, souligne l’ampleur du danger. « Ce qui est inquiétant, c’est que ces munitions se trouvent désormais dans des maisons, des jardins… Lorsque les gens reviendront, ils seront tentés de nettoyer les lieux eux-mêmes, sans savoir qu’ils mettent leur vie en danger ». 

Déjà, des enfants et des femmes ont été tués ou mutilés. M. Rashid appelle les belligérants à ne pas recourir à ces armes dans les zones peuplées et exhorte à un soutien financier urgent pour les opérations de déminage.

Des femmes reçoivent des soins dans un hôpital de Gedaref, dans l'est du Soudan.
© UNOCHA/Giles Clarke
Des femmes reçoivent des soins dans un hôpital de Gedaref, dans l’est du Soudan.

Le cri d’alarme d’un peuple oublié

À Port-Soudan, l’émissaire humanitaire des Nations unies, Clementine Nkweta-Salami, résume la détresse collective : « La population est à bout. Nous appelons la communauté internationale à ne pas oublier le Soudan, à ne pas abandonner les hommes, les femmes et les enfants piégés dans cette situation critique ». 

Son appel résonne comme un dernier sursaut d’espoir. « Il faut un effort massif. Nous avons encore besoin de ressources, d’un soutien renforcé et d’un accès facilité par toutes les forces armées en présence ».

Deux ans après le déclenchement de la guerre, la souffrance du peuple soudanais s’épaissit dans le silence. Rares sont ceux qui tournent désormais leur regard vers Khartoum. Pourtant, dans les ruines des villes, sur les routes de l’exil, dans les camps surpeuplés, des millions de vies ont les yeux tournés vers New York.

Source:https://news.un.org/fr/story/2025/04/1154736