Parfois guerrières, souvent victimes, les femmes sont en première ligne des conflits dans le monde. Mais sur le terrain ou aux tables des négociations de paix, elles sont souvent tenues à l’écart. Entretien avec Marie Josée Kandanga, Conseillère régionale d’ONU femmes.
2007, au Libéria, l’ONU déploie pour la première fois une mission de maintien de la paix avec une unité exclusivement féminine – une première mondiale qui est l’aboutissement d’un long processus d’intégration des femmes aux opérations de paix et de sécurité.
Textes fondateurs
Dès 1969, la Commission de la condition de la femme de l’ONU se penche sur la protection des femmes en situation d’urgence et de conflit. Dix ans plus tard, l’Assemblée générale des Nations unies adopte la Charte internationale des droits des femmes. Mais il faudra attendre les conférences mondiales de Mexico en 1975 et de Pékin en 1995 pour mettre en marche les moteurs de la contribution des femmes aux opérations de paix et de sécurité.
En 2000, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte à l’unanimité la résolution 1325, un texte qui insiste sur la nécessité de protéger les femmes des violences avant, pendant et après les conflits, et de les impliquer dans le règlement des crises au niveau international et national. Cette résolution légitime le rôle des femmes dans la promotion de la paix et de la sécurité. C’est la première pierre de l’agenda « Femmes, paix et sécurité », qui comporte au total dix résolutions onusiennes. Grâce à ces textes, la participation des femmes aux opérations de paix devient réalité.
Femmes casques bleus : l’Afrique en première ligne
Les pays africains sont parmi les premiers contributeurs de troupes à mobiliser des femmes, l’Afrique du Sud, le Ghana, l’Ethiopie et la Tanzanie étant les principaux pourvoyeurs d’effectifs féminins. Parmi les pays francophones, les Rwandaises, les Burundaises et les Camerounaises jouent un rôle majeur. Et pourtant, cette proportion de femmes reste globalement très faible : entre 2% et 22%. Pour Marie-Josée Kandanga, cette présence très minoritaire des femmes dans les corps de défense et de sécurité s’expliquent par plusieurs raisons, à commencer par leur sous-représentation dans les troupes de leurs pays respectifs. « Il y a des facteurs socioculturels qui font que, depuis longtemps, le secteur de la sécurité est conçu comme un secteur très masculin, avec beaucoup d’hommes dans le secteur de la défense, beaucoup d’hommes dans le secteur de la police », explique-t-elle.
Les États ne proposent pas les femmes sur la liste des personnes à déployer dans les corps de défense et de sécurité.Marie-Josée Kandanga
Si rien n’indique que la sous-représentation des femmes dans les rangs de la défense et de la sécurité est due au manque de candidates ou à des réticences à les recruter, la Conseillère régionale d’ONU femmes souligne que les femmes sont été très peu encouragées à participer à ces corps, et que les Etats pèchent par leur faible engagement à les proposer : « Les États ne les proposent pas sur la liste des personnes à déployer dans les corps de défense et de sécurité au niveau du maintien de la paix, parce qu’il y a aussi des facteurs de discrimination au niveau interne même de ces corps. »
Discriminations
Défaut de prise de conscience que les femmes peuvent très bien participer à ces corps de défense et de sécurité, certes, mais aussi barrières liées aux infrastructures et aux préjugés limitent la participation des femmes aux forces de maintien de la paix : « Parfois, dans ces secteurs, les femmes ne disposent pas de structures adaptées à leurs besoins spécifiques, ce qui fait que certaines préfèrent embrasser d’autres carrières. »
Marie-Josée Kandanga souligne aussi l’importance des discriminations sociales et culturelles : « Dans certains pays, les femmes dans ces corps ne sont pas considérées à leur juste titre, que ce soit au niveau social ou familial, avec des familles qui les encouragent pour embrasser les corps de défense et de sécurité. »
Les barrières, dit-elle, s’élèvent dès le processus de recrutement : « Pour réussir les tests que tous doivent passer avant de participer aux missions de maintien de la paix, certaines femmes n’ont jamais eu l’opportunité de conduire, par exemple, ou de s’exercer au tir. Un certain niveau est exigé, alors que ces femmes, dans leur pays n’ont pas eu à exercer des rôles de responsabilité dans la chaîne de commandement. »
Négociatrices, médiatrices
En 2003, des milliers de Libériennes, menés par la militante pour la paix et futur prix Nobel Lehmac Bowe, aident à mettre fin à quatorze ans de guerre civile. Un an plus tard, Acha Aji Elmi devient la première Somalienne à signer un accord de paix entre les clans rivaux du pays.
En 2012, le tribunal spécial pour la Sierra Leone marque l’histoire en nommant des femmes à toutes les plus hautes fonctions : présidente, procureure, greffière, avocate… Au même moment, Fatou Bensouda devient, elle, la première femme procureure générale de la Cour pénale internationale. Et pour amplifier ce mouvement, le réseau Femwise Africa s’investit dans la prévention des conflits et la médiation. Malgré ces réussites, le bilan reste mitigé.
Mais comme dans les forces armées, les femmes restent très minoritaires aux tables des négociations. « Les processus de paix ont été conçus depuis longtemps comme d’ordre masculin. Il y a aussi que les femmes sont souvent même peu représentés dans les partis en conflit, que ce soit du côté du gouvernement, que ce soit du côté des corps armés. Et quand on a des participants de la société civile, les partis en conflit ont tendance à douter de leur objectivité et de leur neutralité dans ce processus. »
Le fait est que, en Afrique, les médiateurs sont souvent des anciens ayant occupé de hautes fonctions. « Ce sont souvent d’anciens présidents de la république ou Premiers ministres, qui sont désignées comme médiateurs. La grande contrainte, c’est que très peu de femmes ont occupé de telles fonctions, » explique Marie-Josée Kandanga. Heureusement, souligne-t-elle, « beaucoup de femmes ont été formées comme médiatrices dans les différents pays, au niveau communautaire et au niveau national. »
Grâce à l’initiative Elsie, qui vise à augmenter le nombre de femmes dans les missions de maintien de la paix en favorisant leurs conditions d’entrée, des pays africains commencent à mieux préparer les femmes à la défense ou la police en amont . « Au moment des nominations des femmes pour participer aux missions de maintien de la paix, l’effectif sera beaucoup plus élevé, explique Marie-Josée Kandanga. On peut citer l’exemple des pays pilotes, comme le Sénégal, le Ghana, le Togo ou le Cameroun, qui sont en train de préparer de meilleures conditions pour l’adhésion des femmes aux corps de défense et de sécurité. Ils s’engagent aussi à nommer un plus grand nombre de femmes dans les missions de maintien de la paix. »
Sans les femmes, pas de paix durable
Entre 1992 et 2019, seulement 13% des négociateurs, 6% des médiateurs et 6% des signataires d’accords de paix étaient des femmes. Et 7 processus de paix sur 10 n’incluaient même aucune médiatrice ou femme signataire. Les négociations, le désarmement ou les opérations de gestion de crise considèrent rarement leurs incidences sur les femmes, leur sécurité, leur autonomie financière, leur statut social ou leur participation politique.
Des études ont montré que la participation des femmes dans les processus de paix augmente les chances d’aboutir à une solution plus durable. Marie-Josée Kantanga
« Cela fait maintenant vingt-quatre ans que la résolution 1325 a été adoptée, qui stipule que les hommes et les femmes doivent participer sur un même pied d’égalité à tous les processus de paix, et à toutes les étapes, et on n’y arrive pas encore, » déplore Marie-Josée Kantanga. Et pourtant, insiste-t-elle, « le rôle civil des femmes dans les processus de paix permet d’aboutir à des situations de paix durable. Des études ont montré que la participation des femmes dans les processus augmente les chances d’aboutir à une solution plus durable. »
L’intégration des femmes aux processus de paix est l’affaire de tous, car les femmes pâtissent d’un manque de confiance en leur capacité à représenter les parties au moment des négociations, explique Marie-Josée Kantanga : « Parfois, les parties pensent que, peut-être, les femmes ne seront pas à la hauteur pour les défendre. » Pour surmonter ces obstacles, de nouvelles approches locales cherchent à favoriser la participation des hommes, chefs traditionnels religieux, pour lutter contre des pratiques qui bloquent l’investissement des femmes dans les processus de paix.
A l’inverse, des pratiques séculaires mettent en avant leur rôle dans la gestion des conflits. Le lever du sein droit, par exemple, cet usage qui invite les femmes à brandir symboliquement leur sein pour dire aux protagonistes : « Nous sommes vos mères, nous vous avons allaités, il faut arrêter de vous battre, sinon un grand malheur s’abattra sur nos communautés. »
Source: https://information.tv5monde.com