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Malgré des avancées législatives et des engagements internationaux contre les violences faites aux femmes, nombres d’entre elles continuent de subir des violences au quotidien, en Afrique comme ailleurs. Il est essentiel de transformer les discours en actions concrètes, affirme l’autrice et militante Djaili Amal Amadou, par ailleurs ambassadrice de bonne volonté de la Fondation ASAF Cameroun.

L’Afrique est le théâtre d’initiatives prometteuses et d’avancées significatives en matière de droits des femmes. Cependant, les défis persistent, et de nombreuses victimes se heurtent encore à des obstacles pour obtenir justice et protection. Les violences basées sur le genre (VBG) demeurent une réalité préoccupante, touchant des millions de femmes et de jeunes filles.

En 2024, malgré la ratification par de nombreux États africains de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et du protocole de Maputo, des progrès restent à accomplir pour garantir une réelle protection des victimes.

L’Afrique détient le taux le plus élevé de féminicides commis par un partenaire intime ou un proche, avec 21 700 victimes en 2023. Dans certaines régions, la perception des violences conjugales comme une affaire privée plutôt qu’un crime domine : selon une enquête Afrobarometer de 2023, seuls 50 % des Africains estiment que la violence domestique devrait être traitée comme un crime, tandis que 48 % considèrent qu’il s’agit d’un problème familial à résoudre en interne. Plus inquiétant encore, selon la même enquête Afrobarometer, la perception de la VBG comme une priorité absolue varie fortement d’un pays à l’autre, allant de 5 % en Mauritanie à 69 % au Cap-Vert.

Derrière ces statistiques, ce sont des vies brisées, des familles endeuillées et des sociétés qui peinent à protéger leurs citoyennes les plus vulnérables. L’urgence d’agir est plus grande que jamais.

Pas de changement durable sans l’autonomisation des femmes

L’autonomisation économique et sociale des femmes est essentielle pour mettre fin à la violence qui les touche. En effet, lutter contre les violences de genre ne peut se résumer à des sanctions. La dépendance économique est l’un des principaux facteurs qui maintient des millions de femmes sous la domination de leurs agresseurs, et trop nombreuses sont celles qui, par manque d’alternatives, se trouvent incapables de s’émanciper.

Les mots, lorsqu’ils sont utilisés avec conviction, ont un pouvoir immense : celui de briser le silence et de provoquer le changement

Les textes de loi existent, mais l’écart entre législation et réalité est encore trop grand. Trente-six des cinquante-quatre États membres de l’Union africaine (UA) ont désormais ratifié le protocole de Maputo, marquant une avancée majeure pour celles et ceux qui se sont mobilisés sans relâche en faveur de son adoption. Parallèlement, plusieurs pays ont renforcé leur engagement en adoptant des mesures législatives et institutionnelles, telles que des lois sanctionnant les violences sexuelles (Kenya, Liberia), criminalisant les violences domestiques (Ghana, Mozambique), interdisant les mutilations génitales féminines (Ouganda, Zimbabwe) ou encore mettant en place des mécanismes de promotion des droits des femmes (Côte d’Ivoire, Sénégal). Toutefois, dix-huit États restent encore en dehors du protocole. Des défis demeurent également en matière de mise en œuvre effective de ces mesures.

Depuis décembre, j’ai rejoint la Fondation ASAF Cameroun pour m’engager concrètement aux côtés des femmes victimes de violences. Mon parcours en tant qu’écrivaine m’a donné une voix, une plateforme que je souhaite désormais mettre au service de cette cause. Car les mots, lorsqu’ils sont utilisés avec conviction, ont un pouvoir immense : celui de briser le silence et de provoquer le changement. À travers mes livres, mes actions, et le soutien d’Eran Moas et de la Fondation ASAF Cameroun, je me bats pour un avenir où chaque femme pourra vivre en sécurité et dans la dignité.

Briser le cercle de la dépendance économique

Une société qui tolère la violence à l’encontre des femmes devient complice de leur souffrance. Lorsqu’une femme est battue, violée ou humiliée, elle ne peut se reconstruire seule. L’absence de structures d’accueil adaptées constitue un obstacle majeur à sa protection. Mais où fuir quand tout a été perdu ? Vers qui se tourner lorsque même la famille refuse de reconnaître la réalité de la situation ?

Derrière chaque enfant victime de violences, il y a trop souvent une mère impuissante, une sœur en danger, une communauté silencieuse

Depuis trois mois, la fondation ASAF soutient la petite Alima, brûlée au feu à l’âge de six ans par un membre de sa famille et survivante de violences sexuelles. Grâce à la fondation, elle bénéficie d’une prise en charge complète : prothèse, chirurgie réparatrice, suivi psychologique et accompagnement pour son insertion. Sa scolarité est également assurée, et une procédure d’adoption est en cours pour lui offrir un avenir plus sûr. L’histoire d’Alima rappelle tragiquement que les violences faites aux enfants sont souvent le prolongement de celles subies par les femmes. Derrière chaque enfant victime, il y a trop souvent une mère impuissante, une sœur en danger, une communauté silencieuse.

C’est dans cette optique que le projet de la « Maison de la Femme » est actuellement en élaboration. Conçu comme un refuge sécurisé, cet espace aura pour vocation d’offrir aux victimes de violences non seulement un abri, mais aussi un accompagnement global. Grâce à ASAF Cameroun et sous l’impulsion d’Eran Moas, ce centre est en cours de développement. Il proposera un soutien psychologique, une assistance juridique, ainsi qu’une formation et réinsertion économique. L’objectif reste de permettre à chaque femme de se reconstruire en lui fournissant les outils nécessaires pour redevenir actrice de sa propre vie.

À la Fondation, nous avons placé l’autonomisation des femmes au cœur de notre action. Nous croyons fermement que la lutte contre les violences ne se limite pas à la prise en charge des victimes, mais passe également par la prévention et la construction d’un avenir où les femmes ne seront plus contraintes de survivre, mais libres de s’épanouir. Nous offrons aux femmes des formations adaptées, un accès au crédit et un soutien à l’entrepreneuriat, leur permettant ainsi de briser le cercle de la dépendance et de prendre en main leur avenir.

L’urgence d’une mobilisation collective

Le combat contre les violences basées sur le genre ne peut être mené en ordre dispersé. Il exige une réponse collective, forte et résolue. Les médias ont un rôle essentiel à jouer en brisant le silence, en dénonçant sans relâche, en mettant en lumière les dysfonctionnements et les résistances. Les entreprises doivent s’engager dans cette lutte, en favorisant l’emploi des femmes, en soutenant les initiatives qui promeuvent leur autonomie.

Mais au-delà des institutions, c’est chaque citoyen, chaque famille, chaque communauté qui doit s’interroger sur les violences qu’elle tolère. Car la violence ne naît pas dans un vide : elle s’ancre dans des mentalités, dans des traditions, dans des mots qui banalisent, des silences qui cautionnent.

Il est temps de faire de la lutte contre les violences basées sur le genre une cause nationale, continentale, universelle. Il est temps d’en finir avec l’indignation stérile et de passer à l’action. Car aucune société ne peut prétendre avancer tant qu’une moitié de ses membres vit dans la peur et l’oppression.

Source:https://www.jeuneafrique.com/1665972/societe/chaque-famille-doit-sinterroger-sur-les-violences-de-genre-quelle-tolere-par-djaili-amadou-amal/