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Des quotas de femmes dans toutes les négociations internationales pour faire avancer la paix dans le monde: telle est la proposition de résolution présentée à l’ONU en septembre 2025. Entretien avec l’artiviste et ambassadrice de la paix Guila Clara Kessous, et Jocelyne Adriant-Mebtoul, experte en géopolitique des droits des femmes, qui plaident toutes deux pour une diplomatie féministe.

Avez-vous déjà vu de grands accords diplomatiques de paix signés par des femmes? De 1992 à 2019, seules 13% des négociateurs, 6% des médiateurs et 6% des signataires d’accords de paix étaient des femmes. Pourtant, elles constituent la majorité des populations touchées lors de conflits: jusqu’à 80% des déplacés sont des femmes et des enfants.

De Gaza à Goma, en passant par Kaboul ou Téhéran, elles sont en première ligne. Selon l’ONU, en 2023, 612 millions de femmes et de filles ont été affectées par les guerres, soit une hausse de 50% en dix ans.

Alors pourquoi ne sont-elles pas plus présentes dans les négociations de paix? À peine 10%… Pourtant, lorsque les femmes prennent part aux négociations, les chances de voir un accord perdurer plus de quinze ans augmentent de 35%. Ces chiffres ne sont pas de simples statistiques. Ils sont la démonstration que priver les femmes de leur place revient à priver la paix de son socle le plus solide: résilience, capacité de réparation et intelligence collective.

L’art au service de la réconciliation

Figure du diplomatic artivism, Guila Clara Kessous conjugue art, diplomatie et courage civique pour faire de la paix non pas une idée abstraite, mais une réalité durable. Ambassadrice de la Paix, artiste de l’Unesco pour la Paix, vice-présidente de la United nations foundation, incarne une autre diplomatie, à travers l’art et la présence des femmes. 

Franco-marocaine, elle a fondé le Forum Femina Vox. Avec comme objectif central que les femmes ne soient plus tolérées à la marge des négociations, mais reconnues comme décisionnaires de plein droit. De Kigali aux camps rohingyas, elle déploie la dramathérapie comme outil de guérison et de reconstruction. Par l’art, les survivantes de guerres et de violences retrouvent non seulement une voix, mais aussi une dignité et une puissance d’agir.

À l’occasion du 21 septembre, Journée internationale de la paix, cette ambassadrice a proposé une résolution à l’ONU, axée sur trois points. Le premier consiste à institutionnaliser la présence des femmes dans tous les processus de médiation et de négociation, à travers des quotas et des mécanismes contraignants. 

Le deuxième réclame la reconnaissance de la valeur de l’art comme instrument diplomatique, capable d’apaiser, de guérir et de rassembler. Enfin, elle appelle à mesurer chaque année la progression effective de la place des femmes dans les processus de paix et publier ces données, afin de transformer les discours en actes.

 

Entretien avec Guila Clara Kessous et Jocelyne Adriant-Mebtoul sur le plateau de TV5MONDE

TV5MONDE: En 2023, 612 millions de femmes et de filles affectées par une guerre. Les civils sont les plus affectés, notamment les femmes…

Jocelyne Adriant-Mebtoul: Absolument. 90% dans les guerres aujourd’hui. D’abord, les conflits n’ont jamais été aussi nombreux depuis la Seconde Guerre mondiale. On dénombre plus de 100 conflits actuellement sur la planète. Mais aujourd’hui, 90% des victimes sont des civils. Et deux tiers de ces victimes civiles sont des femmes et des enfants. 

TV5MONDE: Et pourtant, elles sont peu représentées. Il y a des figures iconiques, comme la jeune Pakistanaise Malala ou Shirin Ebadi, l’avocate iranienne qui se bat pour les droits des femmes. Ou encore Wai Wai Foo, qui défend la résistance des Rohingyas. Ce n’est pas suffisant? 

Guila Clara Kessouf: Absolument pas. Je crois que vous avez cité les trois seules femmes dans le monde à être, non pas invitées aux négociations de paix, mais représentatives de la cause féminine dans un cadre de diplomatie universelle. C’est justement pour ça que l’on essaie de faire changer les choses. 

Non seulement les femmes sont les premières victimes, mais en plus on vient leur demander d’être infirmières, car ce sont elles aussi qui portent les premiers soins aux soldats, aux blessés, aux enfants, aux maris et aux frères. Lorsque j’interviens sur le terrain, beaucoup de femmes me disent: « mais pourquoi est-ce qu’on n’intervient pas en amont ? » Les femmes viennent toujours après les accords, mais jamais en amont pour essayer de décider du sort du monde quand il s’agit de négociations diplomatiques. 

TV5MONDE: Et pourtant, cette année marque les 25 ans de la résolution 1325, le premier document qui impose de respecter le droit des femmes, et surtout de soutenir leur participation aux négociations de paix et de reconstruction post conflit. On en est loin, avec à peine 10%. Comment l’expliquez-vous?

Jocelyne Adriant-Mebtoul: C’est certainement parce que nous sommes dans un système patriarcal, qui fait que la majorité de nos gouvernants sont des hommes, qu’à peu près 10% de chefs d’État et de gouvernement seulement sont des femmes, et que les démocraties reculent au profit des autoritarismes de tout poil. Aujourd’hui, nous avons quelques exemples de messieurs qui jouent à celui qui a le plus gros biceps, pour ne pas dire autre chose, et qui sont malheureusement des gens dangereux, qui prônent la force au détriment du droit, et qui, on le voit bien, piétinent le droit international. Donc l’égalité, ils n’en ont rien à faire, pour dire les choses très clairement.

TV5MONDE: Guila Clara Kessouf, vous vous plaidez pour aller encore plus loin. Vous voulez des quotas. C’est ce que vous êtes allé demander à Genève, aux Nations unies.

Guila Clara Kessouf: Exactement. 10% de femmes participent aux négociations de paix. Entre 1992 et 2019, on compte moins de 6% de femmes signataires d’accords de loi. Donc c’est absolument minable, nul, zéro.

« Lorsque j’ai demandé aux dirigeants pourquoi il y a si peu de femmes, vous savez ce qu’ils m’ont répondu? Parce que les femmes négocient. Et quand on est à une table de négociation, c’est pour gagner, c’est pas pour négocier ». Guila Clara Kessouf

J’ai eu la chance de participer aux peace talks, qui sont des tribunes où les personnes peuvent s’exprimer, le 10 septembre 2025. Et pour la première fois, depuis que les peace talks existent, à peu près vingt ans, j’ai osé présenter une résolution. C’est une proposition de résolution, ce qui ne veut pas dire qu’elle va être signée, mais j’ai bon espoir, puisque je vais commencer le lobbying nécessaire pour qu’elle soit présentée à la 61e session des Conseils des droits de l’homme. 

Cette résolution demande 30% minimum de représentativité de femmes lors de négociations diplomatiques. Faire en sorte que ces tables de négociations diplomatiques puissent présenter à terme, c’est-à-dire peut-être dans les dix prochaines années, non pas la parité, mais au moins 30%. 

Lorsqu’on m’a demandé de travailler non seulement sur des accords diplomatiques, mais sur les accords féminins des accords d’Abraham, les accords de Sarah et Hajar, que j’ai pu faire signer fin avril 2023, lorsque j’ai demandé aux dirigeants pourquoi il y a si peu de femmes, vous savez ce qu’ils m’ont répondu ? Parce que les femmes négocient. Et quand on est à une table de négociation, c’est pour gagner, c’est pas pour négocier. 

TV5MONDE: Jocelyne Adriant-Mebtoul, vous êtes fondatrice de Femmes du Monde et réciproquement, les quotas, c’est une bonne idée? 

Jocelyne Adriant-Mebtoul: Ce n’est pas seulement une bonne idée, c’est une obligation. On n’a jamais adoré les quotas. On veut juste l’égalité. Quand on est pour une société féministe, c’est juste une égalité qu’on réclame entre les hommes et les femmes. Ce n’est pas grand-chose. Malheureusement, on est obligé d’en passer par les quotas si on veut faire bouger les choses. 

« La diplomatie féministe met au cœur de la diplomatie, de la politique extérieure des États, l’égalité entre les femmes et les hommes ».Jocelyne Adriant-Mebtoul

TV5MONDE: Au sein de l’Union africaine aussi, Effie Owour, qui est coprésidente de FemWise Africa, milite elle aussi pour des quotas. Des quotas de 30%. Même la présidente de la Confédération suisse met en avant cette participation. Pourquoi se bat-on sur ce 30%?

Guila Clara Kessouf: 30%, c’est le minimum vital. Cela veut dire qu’entre deux négociateurs – généralement, c’est ce qui se passe à la table des négociations: on a toujours Donald Trump et Volodymyr Zelensky, on a toujours deux hommes en train de négocier – on puisse avoir au moins une représentativité féminine. Il est très important de dire qu’il s’agit de représentativité féminine et non féministe. C’est-à-dire que l’on n’attend pas plus de voix pour les femmes que pour les hommes, mais une représentativité caractéristique de plus de la moitié de la population aujourd’hui. 

TV5MONDE: Vous défendez quand même une diplomatie féministe, et vous rappelez que c’est une Suédoise, une femme politique, Margot Wallström, qui l’a mise en place. 

Jocelyne Adriant-Mebtoul: En 2014, donc ça remonte à loin. Elle était alors ministre des Affaires étrangères de Suède. Et ce n’est d’ailleurs peut-être pas pour rien que la Suède, malgré ce qui se passe aujourd’hui avec la coalition d’extrême droite, est l’un des pays les plus avancés en termes d’égalité femmes-hommes. Elle a conçu cette idée d’une diplomatie qui mette au cœur de la diplomatie, de la politique extérieure des États, l’égalité entre les femmes et les hommes.

La France a travaillé sur cette question. J’ai copiloté des rapports pour le gouvernement français sur la diplomatie féministe. Nous proposons non seulement le développement d’une politique féministe, avec l’égalité, mais aussi la solidarité internationale avec toutes les femmes qui sont aujourd’hui en situation de vulnérabilité extrême.

« Quand on travaille par la femme, on se rend compte qu’il est impossible de promouvoir une volonté d’anéantissement ou d’annihilation parce qu’il y a une conscience de la dignité humaine ».

Guila Clara Kessouf

TV5MONDE: Guila Clara Kessouz, vous avez milité pour des accords de Sarah et Hajar, la version féminine des accords d’Abraham signés le 24 avril 2023 par Israël, le Bahreïn, le Maroc, les Émirats arabes unis. Est-ce toujours d’actualité? Arrivez-vous à tisser des liens entre des femmes palestiniennes, israéliennes? 

Guila Clara Kessouf: Les accords que j’ai proposés ont été signés avec une vraie envie d’aller plus loin que des accords purement commerciaux comme l’étaient les accords d’Abraham. Les femmes apportent justement cette volonté d’aller plus loin dans la connaissance interculturelle et interreligieuse. 

Quant au travail des femmes au niveau israélo-palestinien, je veux citer l’incroyable travail que font Women Watch Peace au niveau israélien et Women of the Sun au niveau palestinien, qui avancent, qui essayent par tous les moyens de se faire entendre, qui militaient malheureusement trois jours avant le 7 octobre 2023.

Ces femmes, depuis des années, militent pour arrêter la guerre et faire en sorte d’être entendues. Quand on travaille par la femme, on se rend compte qu’il est impossible de promouvoir une volonté d’anéantissement ou d’annihilation, parce qu’il y a une conscience de la dignité humaine qui est assez différente, je pense, au niveau masculin. 

TV5MONDE: Mais aussi parce que ces femmes sont au cœur de la société civile… 

Jocelyne Adriant-Mebtoul: Si l’on veut la paix, il faut sauver le multilatéralisme et l’ONU, avec les résolutions 1325 et les neuf suivantes. Et aussi la société civile avec cette volonté, cet engagement et cette mobilisation des femmes. Ce sont les deux en même temps. 

TV5MONDE: Comment former des ambassadrices de la paix? 

Guila Clara Kessouf: Je propose à Chypre des séminaires de formation à la négociation diplomatique. Je travaille essentiellement sur cette région du Moyen-Orient, Émirats arabes unis, Israël, Bahreïn et Maroc. Il faut que ces femmes puissent être des ambassadrices qui osent s’asseoir aux tables de négociation. Parce que c’est bien joli de faire passer des résolutions, si tant est que la résolution passe, mais quelles sanctions vont être mises en place? On le voit malheureusement avec tous les quotas dans les boards. Quelles sanctions s’ils ne sont pas respectés? C’est un peu flou.

Deuxièmement, il faut qu’on ne puisse pas nous retorquer: où sont-elles, ces femmes? Sont-elles prêtes? Ces formations ont pour but de proposer aux femmes des outils solides de confiance en soi, parce que la tâche va être difficile. Pour oser prendre leur place et prendre la parole dans des réunions où, généralement, la parole est souvent coupée, et puis pour maîtriser véritablement le vocabulaire diplomatique en termes de négociation.

Jocelyne Adriant-Mebtoul: La diplomatie féministe peut vraiment être une arme de paix. Je pense que c’est l’outil dont il faut s’emparer à la fois au niveau institutionnel et au niveau de la société civile.

Source:https://information.tv5monde.com/