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Le Protocole de Maputo engage les États africains à garantir les droits fondamentaux des femmes.

Par Bowel Diop

La violence basée sur le genre est un phénomène mondial qui touche également l’Afrique. Dans la plupart des cas, ceux qui perpétuent cette violence sont les époux, et cette violence s’étend parfois au viol conjugal.

Le viol conjugal est défini comme un acte par lequel un partenaire oblige l’autre partenaire à avoir un rapport sexuel non consenti. Ce phénomène touche de nombreuses femmes comme en témoigne ce rapport d’Equality, une organisation fondée aux États-Unis et qui dispose de bureaux à New York, Nairobi, et Londres.

Chaque jour, dans des groupes privés de discussion en ligne où des femmes s’expriment sous anonymat, apparaissent des confidences bouleversantes sur les violences subies par les femmes dans le couple. Pour des raisons de protection et de respect des personnes qui témoignent, ni leur identité ni les détails des plateformes ne sont mentionnés. Derrière ces témoignages se dessine pourtant une réalité glaçante : celle de rapports sexuels imposés dans le cadre du mariage malgré le non-consentement de la femme, autrement dit la réalité du viol conjugal.

Dans un contexte où les violences sur femmes deviennent légion, le consentement est bafoué. “L’obligation conjugale” prime encore trop souvent sur la liberté de la femme de disposer de son corps.

C’est dans ces univers numériques, entre détresse exprimée et normalisation de la violence, que s’inscrivent des groupes de parole qui incarnent la sororité numérique. Espace d’écoute, de soutien et de parole libre, ces espaces permettent aux femmes de briser collectivement les tabous qui freinent leur épanouissement, en ligne comme dans la vie réelle. Ce cadre sécurisé où des femmes témoignent de leurs vécus rappellent l’urgence d’un débat franc et courageux sur le viol conjugal en Afrique.

Débat culturel, religieux et juridique

En mai 2025, l’émission Midi Plus de TFM Télévision Futur Média, basé au Sénégal, offre une audience nationale à l’Oustaz Modou Fall (autorité musulmane au Sénégal). Ce prédicateur affirme que le devoir conjugal prime sur le consentement, légitimant ainsi une violence sexuelle sur l’autel du mariage. Il dit en wolof :

 « On dit que la loi dit que si tu as forcée ton épouse à avoir des rapports sexuels c’est que tu l’as violée. Pfff – paroles de fous, ta femme que tu as épousée devant Dieu. Tu voyages, tu as un tournage, Pape Samba [nom de l’animateur]  tu rentres fatigué, tu veux coucher avec ta femme et on te dit non. Elle te dit qu’elle est fatiguée, qu’elle faisait le ménage (rires ) tu l’as forcée donc c’est un viol ? Si c’est vrai, alors quel est le texte religieux qui dit ça? On doit faire attention à cela. »

Dès la diffusion de l’émission, un vent d’indignation s’est élevé sur les réseaux sociaux. Sur la plateforme TikTok des voix militantes et juridiques se sont mobilisés. La page Xam Sa Droit, a publié une série de vidéos pour déconstruire les propos de Modou Fall en les confrontant à la législation. En particulier, elle explicite l’article 320 du code pénal sénégalais, qui définit le viol comme tout acte de pénétration « commis par violence, contrainte, menace ou surprise ». Cela suffit à rappeler que le mariage n’ampute aucun droit fondamental, et que refuser un rapport sexuel, même au sein du couple, reste un droit inaliénable. Ce travail de pédagogie juridique a été accueilli avec force et soutien sur TikTok, car il replace le consentement au cœur de la discussion.

Sur X également, des voix se sont levées. Nabou Diop Lo, juriste et activiste pour les droits des femmes et des enfants publie sur son compte X:

Mais comment oser se plaindre d’un viol quand une figure religieuse prétend que le « non » d’une épouse n’a aucune valeur ? Cette dissonance entre la loi, les discours publics et la réalité vécue par les femmes souligne l’urgence d’une réforme juridique et d’une prise de position claire des autorités.

Ce discours officiel normalise le viol conjugal, renforce un droit de regard absolu sur le corps de la femme et alourdit considérablement la charge morale des victimes potentielles.

Selon le rapport d’Equality Now (2024), la reconnaissance légale du viol conjugal varie fortement en Afrique. Le rapport indique que des pays comme le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, la Côte d’Ivoire, le Gabon, Madagascar, le Sénégal, ou le Togo criminalisent explicitement le viol marital.

D’autres pays comme la Gambie, la Guinée équatoriale, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Soudan du Sud et la Tanzanie exemptent explicitement les époux de poursuites, sauf cas exceptionnels.

Le Cameroun, la République centrafricaine, le Congo Brazzaville, La République démocratique du Congo, la Guinée, le Mali, l’Ouganda et le Tchad demeurent muets sur la question, laissant un vide juridique total.

La loi sénégalaise sur le viol et la pédophilie, modifiée en 2020, définit le viol comme :

Tout acte de pénétration « commis par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Cependant, l’absence d’un encadrement précis autour du viol conjugal et du consentement marital laisse un champ d’interprétation large, souvent défavorable à la victime. De ce fait, le viol conjugal est fréquemment considéré comme une violence domestique banale, qui n’appartient pas à la catégorie de crime.

En Côte d’Ivoire, par exemple, une enquête du journal Le Monde, publié en février 2024, rapporte qu’une vidéo humoristique sur TikTok ridiculisant la fatigue sexuelle des femmes a suscité des réactions amusées, preuve que le non-consentement sexuel n’est pas pris au sérieux.

Les données montrent que 33% des femmes africaines ont subi une forme de violence sexuelle dans leur vie ; en Afrique subsaharienne, ce chiffre peut atteindre 44%  selon un article publié dans le journal African Health Sciences. En Côte d’Ivoire, 40% des femmes accueillies dans le refuge de l’ONG Akwaba Mousso rapportent avoir été victimes de viol conjugal.

Dans de nombreux systèmes juridiques africains, y compris au Sénégal et en Côte d’Ivoire, la présomption implicite de consentement mutuel entre époux notamment empêche la reconnaissance effective du viol conjugal comme crime.

Quand des féministes sensibilisent sur la thématique, la question est souvent minimisée. Dans l’article du journal Le Monde cité plus haut, la militante ivoirienne et cofondatrice de la Ligue ivoirienne des droits des femmesMarie-Paule Okri confie au journaliste :

Quand on essaie d’en parler, on nous répond qu’on exagère. On nous inculque depuis l’adolescence que le corps de la femme est fait pour donner du plaisir à l’homme.

Pourtant le Protocole de Maputo engage les États africains à garantir les droits fondamentaux des femmes, y compris en matière de santé et de consentement reproductif au niveau de son article 14.

Au-delà des textes juridiques, seul un profond changement de mentalités peut changer la condition des femmes dans le respect du corps et l’égalité au sein des couples.

Source:https://fr.globalvoices.org/2025/09/10/298017/