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Le gouvernement tchadien a adopté le [2.01.2025] une ordonnance sur la prévention et la répression des violences faites aux femmes et aux filles.

Cette décision fait suite à l’enregistrement de plusieurs cas de viols et de féminicides dans le pays.

Interview avec Amina Priscille Longoh, ministre de la Femme et de la Protection de la Petite Enfance, au Tchad.

DW : Depuis quelques mois, le Tchad ne cesse d’enregistrer des cas de violences à l’égard des femmes, dont des cas de viols et de féminicides. Que savez-vous de ces affaires et comment les expliquez-vous ?

Ce sont des situations qui ne laissent personne indifférent et nous sommes tous sous le choc.

Il n’y a rien qui puisse expliquer cela. Ôter la vie à un être humain à sa moitié, violer une femme alors qu’il y a plusieurs voies et moyens de l’aborder…

Ce ne sont pas des questions qui devraient être encore des questions d’actualité.

En ma qualité de ministre en charge de la Femme, en ma qualité même de femme, je ne peux pas tolérer, je ne peux pas accepter.

Mon gouvernement ne soutient pas cela et le chef de l’Etat [Mahamat Idriss Déby Itno] a été clair dans son projet de société : la protection juridique des femmes, la protection de leurs droits reste une priorité pour son quinquennat.

DW : Ces récents abus s’ajoutent à une longue liste dont on ne connaît pas l’issue judiciaire. Par exemple, l’affaire [du viol collectif d’une jeune fille nommée] Zouhoura, en 2016. On a l’impression que rien ne se fait.

L’affaire Zouhoura n’est pas une référence exaltante pour moi. Je m’en rappelle. C’était très difficile à l’époque, mais aujourd’hui faire référence à l’affaire Zouhoura n’est pas dans le [même] contexte.

Vous savez que si on était d’accord avec ces pratiques, de ma position, je ne demanderais peut être pas la radiation de certaines personnes qui sont supposées protéger les filles mais qui, malheureusement, n’assument pas ce rôle capital qui est donc le leur. En ma qualité de membre du gouvernement, je n’aurais pas osé lever le ton, [il y a quelques années].

C’est pour vous dire que nous ne sommes plus à la même époque et que nous ne tolérerons jamais des violences qui sont faites aux femmes.

En tout cas, pour nous, les droits des femmes ne sont pas négociables et peu importe la personne qui commet un viol, une violence, qu’elle soit physique, sexuelle, psychologique contre les femmes, subira la rigueur de la loi.

Pour exemple, et à titre d’illustration, le chef de l’Etat vient de signer l’ordonnance portant prévention et répression des violences faites aux femmes en République du Tchad.

Et vous allez aussi suivre d’ici là des grandes décisions qui montreront encore davantage la rigueur de la loi qui sera appliquée à l’encontre de tous les contrevenants.

DW : Mais qu’est ce qui peut justifier la persistance du phénomène ? Est-ce que les mesures prises par les autorités ne sont pas efficaces ou alors est-ce une question de culture ?

Face à cette pratique, au Tchad ou ailleurs, l’applicabilité des textes est un problème réel que nous avons.

La question du viol, par exemple, est une question qui touche à l’honneur et à la dignité des familles.

Et donc pour la plupart des cas que nous rencontrons, les familles préfèrent régler cela à l’amiable plutôt que de continuer le processus juridique et judiciaire.

Et aussi la lenteur dans le traitement des dossiers au niveau de la justice ne facilite pas l’aboutissement des procédures comme nous le souhaitons, mais nous continuons à encourager les victimes à ne pas désespérer.

C’est pourquoi nous continuons à proposer des textes, des lois, des mécanismes de prévention, de protection et de répression.

En même temps, je me dis que la sensibilisation reste quand même quelque chose d’important dans les démarches que nous menons.

C’est pourquoi nous demandons à la société civile d’appuyer le gouvernement dans cette lutte.

Je remercie déjà la dynamique intersectorielle des départements ministériels, parce qu’aujourd’hui cette question ne relève pas seulement du département en charge de la femme : la Sécurité, la Justice, la Santé, la Communication, tous sont interpellés et font un bon boulot.

Je les remercie, mais pour moi, il reste encore beaucoup à faire pour changer les mentalités.

L’éducation à la base reste importante. L’équilibre Homme-Femme, l’éducation, garçons-filles, ce sont des choses que nous devons intégrer dans des valeurs familiales que nous avons.

Et donc ce n’est malheureusement pas près de se terminer.

Mais nous n’allons jamais baisser les bras.

DW : Je suis persuadé que vous lisez les réactions sur les réseaux sociaux de vos concitoyens et pour certains, le profil de certains auteurs explique que les autorités ont du mal à faire appliquer la loi. Des abus sont commis même dans des commissariats. Que dites-vous ?

Deux agents de la police ont été pris en flagrant délit, l’un pour viol et l’autre qui en a fait l’apologie.

Vous avez vu ma réaction : en tant que ministre de la femme, j’ai demandé la radiation, comme beaucoup d’autres militants des droits des femmes.

Vous avez vu aujourd’hui la loi qui est sortie. Vous pensez que nous, on cautionne cela ?

Et le chef de l’Etat, il ne le cautionne pas [non plus].

D’ici les heures qui suivent, il y aura des mesures fortes pour réaffirmer la position du gouvernement.

Je vous rassure que ces personnes de plus haut rang, comme vous le dites, subiront la rigueur de la loi.

DW : Y a-t-il des mécanismes et services mis en place pour soutenir les victimes de violences, en particulier en matière d’accès à la justice, aux soins de santé psychologique ?

Tout à fait. Dans le cadre de la réponse appropriée en faveur des victimes, le gouvernement a mis en place des centres intégrés, des services multisectoriel pour une prise en charge holistique des victimes.

Dans ces centres, les victimes trouvent toute la prise en charge qu’il faut : psychosociale, médicale, sanitaire, médicale, juridique et judiciaire et une aide à la réinsertion sociale.

Aussi, nous avons mis en place une ligne verte [téléphonique] pour faciliter la dénonciation.

Nous demandons toujours aux femmes et aux filles de se sentir proches de ces structures dans lesquelles elles trouvent une assistance complète et gratuite.

Source:https://www.dw.com/fr/interview-tchad